Cote d'Ivoire: De la dépendance à la souveraineté – Réinventer le financement entrepreneurial africain

En 2025, l’écosystème entrepreneurial africain traverse une tempête sans précédent, notamment provoquée par la nouvelle politique extérieure américaine. Cette crise est une opportunité historique de redéfinir notre approche du financement entrepreneurial. Einstein disait : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». Il est temps d’imaginer de nouveaux modèles de financement en Afrique, plus ancrés dans nos réalités économiques, sociales et culturelles.
Un paysage financier en pleine mutation
Le retrait brutal de programmes comme USAID, annoncé par Marco Rubio, le Secrétaire d’Etat Américain, a secoué des écosystèmes clés. Au Kenya, au Ghana et au Nigeria, les programmes USAID subissent des coupes de 23 % à 79 %, mettant sous pression incubateurs accélérateurs et autres structures d’appui à l’entrepreneuriat. L’exemple de la start-up nigériane OKO, active dans l’assurance agricole inclusive, illustre cette dépendance : près de 75 % de ses revenus prévus reposaient sur USAID. Ce choc force une prise de conscience : l’Afrique entrepreneuriale est à un carrefour.
Un paysage financier en pleine mutation
Restez informé des derniers gros titres sur WhatsApp | LinkedIn
Le financement africain se transforme sous l’effet de quatre dynamiques principales. D’abord, le désengagement de l’USAID fragilise les écosystèmes et start-up dépendants. Ensuite, de nouveaux acteurs philanthropiques émergent.
Le cas de la Fondation Gates, qui a annoncé 200 milliards de USD majoritairement dirigés vers l’ Afrique d’ici 2045, en est l’illustration. En outre, on observe des recompositions dans les levées de fonds auprès de VC, avec le seuil des 1 milliards USD $ pendant les 5 premiers mois de 2025, contre 750 millions USD pour la même période en 2024 d’après The Big Deal. Enfin, des initiatives nouvelles et souveraines sont annoncées, mais doivent prendre forme, comme la Banque d’investissement et de Développement de l’Alliance des États du Sahel, dotée de 500 milliards de FCFA, qui vise à financer des projets structurants et à créer de l’emploi.
Ma proposition pour un écosystème de financement africain résilient
Les modèles de financement de l’entrepreneuriat dominants reposent souvent sur des logiques exogènes typiques du capital risque: recherche de rendements élevés, via l’hypercroissance et une sortie rapide, souvent au détriment de l’impact et de la durabilité. Cette logique accentue l’exclusion : en 2024, les équipes avec au moins une femme fondatrice n’ont capté que 6,8 % des financements VC en Afrique, et les équipes 100 % féminines environ 3 % sur la période 2013-2021, selon la Banque Mondiale.
Pourtant, selon le Global Entrepreneurship Monitor, l’Afrique subsaharienne est la région du monde où l’on trouve les taux les plus élevés de femmes entrepreneures, autour de 20-26 % selon les pays et les années. Le contraste est saisissant.
Rééquilibrer la donne suppose de changer nos critères de valeur : intégrer la résilience, l’ancrage territorial, la gouvernance partagée, et inventer des mécanismes hybrides capables d’allier rentabilité et transformation.
Le digital comme levier souverain de financement
En naviguant l’écosystème entrepreneurial, technologique et les multinationales, j’ai pu comprendre de l’intérieur les mécanismes qui façonnent l’investissement, de la subvention d’amorçage, au capital risque. Et j’ai à coeur de partager mes réflexions, de manière à contribuer à la création d’impact socio-économique sur le continent africain. Aujourd’hui, je suis convaincue, que l’Afrique dispose d’un atout majeur sous-exploité: le digital.
Selon la GSMA, en 2024, le mobile money mondial a atteint 1 680 milliards $ de transactions, dont l’Afrique subsaharienne concentre environ 70 % des usages clés (paiements de factures, remittances, paiements marchands). Ceci s’apparente, à mon sens, à l’ossature d’une infrastructure financière. Certes, ces « rails » restent inégaux et dépendants de régulations parfois instables. Néanmoins, ils ouvrent la voie à des solutions locales: micro épargne digitale, crowdfunding de proximité et solutions de financements ancrées dans les pratiques locales.
Des acteurs comme la fintech Melanin Capital, née à Nairobi en 2020 et devenue une « carbon bank » en s’alliant à des acteurs comme GIZ ou Ecobank, montrent déjà comment conjuguer digital et finance verte pour rendre le crédit plus accessible aux PME africaines.
La réinvention du financement entrepreneuriat en Afrique ne viendra pas seulement de capitaux nouveaux, mais de notre capacité à transformer des usages massifs en instruments adaptés, inclusifs et souverains. C’est en s’appuyant sur cette réalité, enracinée dans nos pratiques et amplifiée par la technologie, que nous pourrons redéfinir nos règles du jeu.
Sortir du mimétisme, inventer nos règles
La réinvention du financement entrepreneurial africain ne se fera pas en important les logiques du capital-risque de la Silicon Valley. Elle exige d’assumer notre propre définition de la valeur : la durabilité, l’inclusion, la transformation sociale et la création de valeur économique.
Cela suppose d’articuler trois leviers :
Le développement du capital local souverain : banques d’investissement régionales, fonds publics-privés, coopératives, mécènes ou business angels
La croissance d’une philanthropie mieux arrimée aux réalités territoriales, afin d’adresser les réalités du terrain
L’utilisation du digital comme catalyseur d’innovation financière inclusive.
La fermeture d’USAID est une alerte, mais aussi une opportunité. C’est peut-être le moment où l’Afrique peut, enfin, ne plus subir les chocs venus d’ailleurs, mais construire un écosystème capable de créer ses propres règles du jeu.



