Côte d’Ivoire: Conseil constitutionnel et Commission électorale, acteurs majeurs mais contestés de la présidentielle

Le premier tour de la présidentielle ivoirienne aura lieu le 25 octobre 2025. Le Conseil constitutionnel et la Commission électorale indépendante (CEI) jouent un rôle crucial dans ce scrutin. Deux institutions loin d’être épargnées par les critiques.

Le 25 octobre prochain, 8,7 millions de personnes sont attendues dans les bureaux de vote pour élire le président de la République de Côte d’Ivoire. Un scrutin qui, comme tous les autres du pays, sera géré par la Commission électorale indépendante (CEI), créée en 2001 à cet effet.

Mais, contrairement aux législatives ou régionales par exemple, la CEI n’a pas le dernier mot sur les référendums et la présidentielle. Geoffroy-Julien Kouao, politologue et essayiste, résume : « C’est le Conseil constitutionnel qui est le juge de l’élection présidentielle. C’est à lui qu’il revient d’établir la liste définitive de ses candidats et de proclamer les résultats définitifs. […] : La Commission électorale indépendante est l’organe chargé de l’organisation de l’élection présidentielle. C’est également la CEI qui proclame les résultats provisoires. »

« La Constitution définit clairement le rôle de chaque institution »

Pour Arsène Brice Bado, enseignant-chercheur en sciences politiques et en relations internationales au Centre de recherche et d’action pour la paix (Cerap) à l’Université jésuite d’Abidjan, la CEI a « cinq types de rôles qui sont d’ailleurs liés. Il y a d’abord l’élaboration et l’actualisation du calendrier électoral. […] Ensuite, il lui appartient de gérer la liste électorale. Ceci consiste d’abord à superviser l’enrôlement des électeurs et à tenir à jour et à publier la liste électorale. Troisièmement, il y a la supervision de la campagne électorale […] qui consiste à contrôler, par exemple, l’équité dans l’accès aux médias publics des différents acteurs des différents partis politiques. […] Et, quatrièmement, c’est un rôle très important : la supervision du scrutin et la proclamation provisoire des résultats. » Il ajoute : « À ces rôles, on peut ajouter aussi celui de la pacification du processus électoral, […] de prévenir et de gérer les contentieux électoraux au niveau administratif, avant que les choses ne deviennent graves et qu’il y ait nécessité de saisir des juridictions plus compétentes. »

Arsène Brice Bado souligne par ailleurs, concernant le Conseil constitutionnel : « Même s’il n’intervient pas beaucoup dans le processus électoral, il le fait à des moments-clés. Et finalement, c’est le Conseil constitutionnel qui permet de valider le processus électoral. » Il conclut : « La Constitution définit clairement le rôle de chacune des deux institutions. »

Le chercheur au Cerap rappelle en outre que, à côté de ces deux piliers, « même si ce n’est pas au même niveau », il y a « d’autres institutions » essentielles « parce que l’élection peut échouer ou peut conduire à des violences si elles ne jouent pas leur rôle ». Et de citer des juridictions comme le Conseil d’État « qui est habilité à statuer sur les recours liés aux décisions administratives en matière électorale, telles que la radiation sur la liste électorale », les institutions de sécurité, des organisations de la société civile essentielles « dans la transparence et l’acceptation de l’élection par l’opinion publique », ou encore les médias.

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La crise de 2010-2011

En 2010-2011, cette répartition des tâches a cependant été bousculée par une grave crise électorale. Le 2 décembre 2010, à l’issue du second tour de la présidentielle, la CEI avait annoncé la victoire d’Alassane Ouattara, l’actuel chef de l’État, avec 54,1 % des voix selon les résultats provisoires, tandis que le Conseil constitutionnel avait invalidé des résultats dans plusieurs régions du Nord et proclamé Laurent Gbagbo, président sortant (2000-2010), vainqueur avec 51,45 % des voix.

Geoffroy-Julien Kouao veut croire que « les leçons du passé ont été tirées » : « Je pense que l’article 64 du Code électoral est d’une extrême clarté : le Conseil constitutionnel peut, en cas d’irrégularités constatées pouvant mettre en cause la crédibilité et le résultat donné provisoirement par la CEI, annuler l’élection et demander l’organisation d’un nouveau scrutin. » Il poursuit : « C’étaient les mêmes dispositions en 2010. C’est seulement que, en 2010, la CEI a donné des résultats provisoires, le Conseil constitutionnel a constaté des irrégularités, et que, au lieu de convoquer un nouveau scrutin, il a proclamé un autre résultat que celui de la CEI. Et c’est de là qu’est venu le conflit. Mais je pense que, en 2025, un tel dysfonctionnement serait difficilement envisageable. »

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« La loi est dure, mais c’est la loi »

Reste que la Commission électorale indépendante et le Conseil constitutionnel font toujours l’objet de critiques. Ce dernier a proclamé le 8 septembre une liste définitive de cinq candidats, provoquant colère et incompréhension chez les nombreux recalés. Le mouvement Aujourd’hui et demain, la Côte d’Ivoire (ADCI) s’est ainsi plaint d’« incohérences » et d’« inexactitudes » dans le traitement des parrainages de son candidat, Tiémoko Assalé, ainsi que de l’absence « de voie de recours ». De son côté, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) a dénoncé une « décision injuste et arbitraire » concernant son candidat, Tidjane Thiam, écarté car non-inscrit sur les listes électorales. Sollicité, le Conseil constitutionnel n’a pas souhaité commenter ces décisions contestées.

Geoffroy-Julien Kouao, lui, relativise : « La loi est dure, mais c’est la loi. Et selon le droit positif ivoirien, les décisions du Conseil constitutionnel sont insusceptibles de voie de recours. Je comprends bien le ressenti des candidats recalés. Il aurait fallu que, par exemple, le Conseil constitutionnel les invite pour leur présenter la réalité de leurs parrainages, pour corriger les insuffisances, si besoin, avant la publication de la liste définitive. Nous devons les uns et les autres en prendre acte et puis voir, pour les prochaines échéances électorales, comment corriger quelques anomalies observées ici et là. »

Une CEI régulièrement critiquée

La CEI, elle, est régulièrement accusée par des formations de l’opposition d’être sous la coupe des autorités. En avril dernier, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) de Tidjane Thiam et le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) de Laurent Gbagbo ont claqué la porte de la CEI, réclamant la révision de la liste électorale.

Parmi les autres reproches régulièrement formulés envers la CEI, la surreprésentation supposée des autorités dans ses instances locales ou dans son bureau central. Arsène Brice Bado décrypte : « Ce qui fait problème, ce sont les six représentants de la société civile nommés par le président de la République pour certains partis politiques et certaines organisations de la société civile qui les soupçonnent d’être proches du parti au pouvoir, ce qui met en minorité les partis d’opposition. Est-ce vrai ou pas ? En tout cas, c’est la perception qu’ont certains acteurs politiques. Et, en politique, les perceptions sont plus importantes que la réalité. »

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Sur son indépendance, son impartialité, sa composition, le fichier électoral ou la transparence de sa gestion, la CEI se défend en tout cas vigoureusement. « Nous sommes la seule entité en dehors du président de la République et du vice-président qui prête serment devant le Conseil constitutionnel, martèle son porte-parole Émile Ebrottié. Et quand on prête serment devant le Conseil constitutionnel, on se départit de l’influence de nos mandants ». Il poursuit : « Soixante personnalités sont venues déposer leurs dossiers pour la présidentielle, ici. Quand on ne reconnaît pas la Commission électorale indépendante, on ne vient pas y déposer ses dossiers. » Et de conclure, dans un sourire : « Le jour où on fera l’unanimité, je considérerais qu’il y a un problème. »

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