Civils abattus, appel aux viols, fosses communes à el-Fasher: comment ont été documentées ces exactions au Soudan

Des images édifiantes attestent de l’ampleur des massacres commis au Soudan lors de la prise d’el-Fasher par les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), opposés depuis le 15 avril 2023 à l’armée soudanaise. Des chercheurs publient les résultats de leur enquête sur la base de vidéos et d’images satellites documentant les violences dans cette ville de l’ouest du pays.
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Dix jours après l’attaque sur la ville d’el-Fasher, dans l’ouest du Soudan, par les paramilitaires du général Hemedti, une étude de vidéos, de photos, d’images satellites, et de témoignages recueillis par des chercheurs, révèle l’ampleur des violences et des massacres qui ont eu lieu lors de la prise de la capitale du Darfour-Nord par les Forces de soutien rapide, le 26 octobre dernier.
Deux organisations, le Sudan War Monitor et le Laboratoire de recherche humanitaire de l’École de santé publique de Yale – qui regroupent des journalistes et des chercheurs en sources ouvertes –, ont publié leurs recherches cette semaine.
Il s’agit de dizaines d’images et de vidéos documentant les exactions postées sur les réseaux sociaux.
Dans l’une de ces vidéos, des paramilitaires marchent au milieu de cadavres, à l’intérieur de l’hôpital saoudien, d’el-Fasher. Un patient encore vivant essaye de s’assoir et est aussitôt abattu. On entend un combattant dire : « Il y en a un vivant là, tue-le ! » Puis celui qui filme sort du bâtiment, à l’extérieur, où des dizaines de corps, tous de civils, jonchent la cour.
Ces images sont celles prises par les paramilitaires eux-mêmes, qui commentent leurs exactions et qu’ils postent ensuite sur les réseaux sociaux.
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Une paramilitaire appelle à violer les civiles
Sur la base de plusieurs dizaines de vidéos et de témoignages recoupés par les chercheurs, le Sudan War Monitor a pu établir qu’après être entrés dans el-Fasher, les paramilitaires se sont déployés dans différents quartiers, allant de maison en maison, dans les hôpitaux, exécutant les civils, parfois sur bases ethniques.
D’autres vidéos, analysées par cette organisation, prises à l’extérieur de la ville montrent des corps, tous en tenus civils, éparpillés le long d’une piste ou bien entassés dans des fosses. Des preuves selon l’organisation que les habitants d’el-Fasher ont été tués alors qu’ils tentaient de fuir la ville.
Sur l’une de ces vidéos, un officier FSR – connu sous le nom d’Abou Lou Lou – se moque de civils prisonniers, à genoux devant lui, avant de les exécuter.
Une vidéo montrant le dénommé Abou Lou Lou.
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Sur une autre, une femme paramilitaire appelle les combattants autour d’elle à aller violer les femmes.
Sur d’autres, des habitants à genoux implorent leurs familles afin qu’elles payent les rançons exigées par les FSR pour leur libération. Sur l’une d’elle, un notable de la ville, le Docteur Abbas, professeur en psychologie à l’Université d’el-Fasher.
Des vidéos qui témoignent de la violence qui s’est déroulée lors de la prise d’el-Fasher et qui serviront peut-être un jour à poursuivre les auteurs de ces crimes.
Du sang visible depuis l’espace
Le Laboratoire de recherche humanitaire de l’École de santé publique de Yale qui, depuis le début du conflit au Soudan, analyse des images satellites et documente les exactions. Dans un rapport publié mardi 4 novembre, ce laboratoire affirme avoir des preuves que des massacres de grande ampleur ont eu lieu dès la prise d’el-Fasher et continuent peut-être encore à ce jour, selon son directeur Nathaniel Raymond.
Guerre au Soudan: «Les paramilitaires sont en train de ramasser des corps pour les mettre dans des fosses communes»
RFI : Comment votre équipe a-t-elle identifié les victimes d’exactions à el-Fasher avec des images satellites ?
Nathaniel Raymond : Nous arrivons à ces conclusions en observant des formes d’1,3 à 2 mètres de long, qui sont apparues sur nos images juste après la chute d’el-Fasher. Ces formes se trouvent dans des lieux où les paramilitaires se sont filmés tuant des civils. La taille moyenne d’un corps humain, vue d’un satellite est de 1,3 à 2 mètres de long. Donc, pour nous il s’agit bien de corps. De plus, ces formes ne bougent pas pendant plusieurs jours, et de nouvelles apparaissent régulièrement.
Avez-vous pu déterminer où se trouvaient ces corps ?
Nous avons eu la confirmation qu’il y a eu un massacre à l’hôpital saoudien d’el-Fasher. Et sur nos images satellites, à ce même endroit, nous voyons ces mêmes formes. Donc, pour nous ce sont bien des corps.
Autour de cet hôpital, nos images montrent des formes avec une coloration rouge tout autour. Nous pensons qu’il s’agit de sang.
Nous avons également la preuve que les paramilitaires sont en train de ramasser ces corps pour les mettre dans des fosses communes.
Comment déduisez-vous cela ?
D’une image à l’autre, nous les voyons creuser des trous, y mettre des objets qui ont la forme d’un corps, puis les recouvrir. Alors que je vous parle, il y a deux fosses communes qui ont été creusées à proximité d’un quartier où il y a eu des massacres.
Ces images ont 24 heures. Nous collectons des images toutes les 6 à 12 heures.
Ce qui veut dire qu’il y a encore des massacres ?
Oui, nous voyons des piles qui apparaissent à différents endroits de la ville. Il y a encore de nombreux habitants à el-Fasher et nous pensons qu’ils sont en danger.
Est-ce que vous avez pu quantifier le nombre de morts ?
Il y en a trop pour les compter. Nous essayons de mettre au point au programme informatique qui pourrait nous aider. Mais, souvent, les corps sont empilés les uns sur les autres. Donc, on essaie de calculer si le volume de ces formes évolue sur plusieurs jours. Mais nous avons vu des camions arriver ces derniers jours, ce qui veut dire que les paramilitaires sont en train de nettoyer la zone.
Ces images sont terribles. Est ce qu’elles peuvent servir de preuve ?
Je ne sais pas : ça va dépendre de la communauté internationale. Pour l’instant, elle ne fait rien.
Mais oui, elle pourrait… Nous avons déjà collaboré avec la Cour pénale internationale (CPI) sur certains dossiers qui impliquaient des images satellites.



