Après plus de quatre ans de procès devant la première chambre de la Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas, le verdict dans le procès des deux chefs miliciens anti-balaka de Centrafrique est tombé. Alfred Yekatom est condamné à 15 ans de prison ferme et son co-accusé, Patrice-Édouard Ngaïssona, à 12 ans. Des peines qui sont loin de celles demandées par les parties civiles qui espéraient une condamnation pour 30 ans, la peine maximum.
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Député et à la tête d’une société de sécurité, Alfred Yekatom est arrêté à sa grande surprise à Bangui vers la fin 2018 avant d’être extradé vers la CPI. Patrice-Édouard Ngaïssona, président de la Fédération de football de Centrafrique, sera arrêté en France vers la même période, avant de rejoindre son co-accusé à La Haye.
Leur procès devant la CPI a finalement débuté il y a un peu plus de 4 ans, mais très vite la Cour va accumuler les retards à cause notamment de la crise du Covid de 2020 ou encore d’un problème de mandats des juges de la CPI.
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Ce jeudi 24 juillet, la Cour a finalement rendu son verdict (décision à lire ici en anglais) et fixé en même temps la peine qu’il leur est infligée : Alfred Yekatom a été reconnu coupable de 20 chefs d’inculpations et Patrice-Édouard Ngaïssona de 28, dont des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis entre septembre 2013 et février 2014, lors de la tentative de reprise du pouvoir par le général François Bozizé, qui venait d’être chassé de la tête du pays par la Seleka.
Parmi leurs innombrables crimes, des attaques de populations civiles, persécutions pour des motifs ethniques ou encore tortures et traitements inhumains.
Les juges ont donc tranché : 15 ans de prison pour Alfred Yekatom et 12 ans pour Patrice-Édouard Ngaïssona. Mais les deux peuvent faire appel.
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Un verdict diversement apprécié
À l’époque des faits, la milice anti-balaka se réclame de la communauté chrétienne et animiste formée pour combattre la Séléka, une coalition rebelle qui défend les musulmans. À Bangui, alors que les victimes se disent satisfaites et réclament réparation, les partisans des deux ex- chefs miliciens demandent leur acquittement, constate Rolf Steve Domia-Leu.
La retransmission du verdict est suivie en direct sur un écran géant par les victimes, dans la salle d’audience du bureau de la Cour Pénale internationale de Bangui. Euphrasie Nanette Yandoka, la coordonnatrice de l’ANAF, association qui soutient les victimes, est mitigée sur la décision. « Je suis contente parce qu’on a condamné Alfred Yekatom à 15 ans et Patrice Edouard Ngaïssona à 12 ans. Normalement pour nous les victimes, 12 ans et 15 ans, ce n’est pas beaucoup. On s’attendait à 30 ans pour les deux ».
En décembre 2013, les miliciens anti-balaka ont attaqué la ville de Boda au sud-ouest du pays. Rabiatou a été violée et sa maison pillée. « Depuis, je me sens stigmatisée, on m’appelle la femme des rebelles. J’ai vu les miliciens emporter tous nos biens, poussant ma famille à huit ans d’exil ».
Avec le retour progressif de la paix, la plupart des réfugiés sont de retour. Euphrasie Nanette Yandoka explique les attentes des victimes. « Ce que nous demandons, c’est la réparation. Une réparation indirecte ou directe. On peut nous construire un centre de formation professionnelle ou une maison d’accueil pour les victimes. Nous demandons également la construction d’un musée qui retrace l’histoire des victimes, une réparation financière et un monument qui peut représenter les victimes en RCA ».
Mais les partisans de Ngaïssona et de Yekatom sont mécontents. La défense a désormais 30 jours pour faire appel de la décision.
Selon Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch, il s’agit d’« une étape très importante pour la Centrafrique, pour la CPI et pour la justice », d’autant que cela « envoie un message très fort » à ceux encore dans le maqui, les deux condamnés étant parmi les principaux chefs rebelles.
Lewis Mudge, de HRW, salue «une étape importante pour la Centrafrique, pour la CPI et pour la justice»
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