Cameroun: Paul Biya peut-il venir à bout des tensions post-électorales?

Déclaré élu au terme du scrutin présidentiel du 12 octobre 2025, Paul Biya, 92 ans, s’est engagé dans un nouveau septennat, alors que le pays connaît de vives tensions après la contestation des résultats officiels. « L’ordre règnera », a promis le président de la République. Ses partisans sont convaincus qu’il viendra à bout du climat socio-politique actuel, tandis que des voix redoutent un durcissement du ton de la part du pouvoir et une prolongation de la crise.
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Le propos était peut-être destiné à marquer les esprits. Le 6 novembre 2025, dans son discours d’investiture, Paul Biya, qui a entamé son huitième mandat à la tête de l’État depuis 1982, au terme de l’élection présidentielle du 12 octobre dont il a été déclaré vainqueur avec 53,66% des suffrages par le Conseil constitutionnel, y est allé sans détour : « Le Cameroun n’a pas besoin d’une crise électorale dont les conséquences pourraient être dramatiques, comme cela s’est vu sous d’autres cieux. Il est de ma responsabilité de veiller à ce que l’ordre soit maintenu. Je puis vous l’assurer, l’ordre règnera. »
Une référence aux manifestations qui ont marqué la contestation des résultats officiels du scrutin, faisant suite à l’appel émis par Issa Tchiroma Bakary, candidat du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC), classé deuxième, avec 35,19% des voix. Dans plusieurs localités du pays, ont eu lieu « des scènes de pillage et de vandalisme d’une violence inouïe, (…) des incendies, des destructions des biens publics et privés, des attaques contre les forces de l’ordre et des pertes en vies humaines », de l’aveu même du chef de l’État.
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Le camp présidentiel optimiste, l’opposition sceptique
Faut-il, dès lors, s’attendre à l’apaisement des tensions ? Les avis sont partagés. Dans le camp de Paul Biya, on se veut rassurant et optimiste. « Le discours du chef de l’État est de nature à apaiser les tensions post-électorales, puisqu’il est resté humble, ouvert et rassembleur. Il a tendu la main aux autres pour un rassemblement national, afin de bâtir la nation dans la paix et l’unité. Il a annoncé les réformes dans le fonctionnement de l’État et il a assuré au peuple, dont il connaît les frustrations, qu’il ne ménagera aucun effort pour résoudre les problèmes », affirme Elvis Ngole Ngole, membre du Comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti politique au pouvoir.
« Le président de la République a mentionné des secteurs des politiques publiques tels que l’eau, l’énergie, les routes, la santé comme prioritaires dans son action, signe de son souci d’apaisement et de la concorde nationale », ajoute cet ancien ministre.
« Le discours du président Biya est de nature à mettre fin aux inutiles tensions post-électorales pour deux raisons : le »mendiant de la paix » [expression que l’on doit à Paul Biya lui-même, NDLR] a demandé qu’on ne détruise pas notre bien le plus précieux, et à ceux qui ne voudront pas comprendre l’invitation, il a dit que l’ordre règnera », poursuit Albert Mbida, ancien sénateur RDPC.
En face du clan présidentiel, on se montre sceptique. « Je me réfère à cette célèbre phrase du président Ahidjo [premier chef d’État du Cameroun, de 1960 à 1982, NDLR], qui disait, »l’ordre régnera par tous les moyens ». Paul Biya semble annoncer une répression plus accrue et plus accentuée. D’autres arrestations sont donc envisageables, au moment où des appels à la libération des personnes arrêtées [dans le cadre des manifestions de la contestation des résultats de l’élection, NDLR] fusent de partout. On attend peut-être un ciel d’orage », redoute Emmanuel Simh, avocat, vice-président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC). Ce dernier avait apporté son soutien à Issa Tchiroma Bakary à l’élection présidentielle.
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« Le moment est venu de faire prévaloir l’approche politique pour résoudre la crise actuelle »
« Dans le discours du président Biya, on ne voit pas de véritable signe d’apaisement. On note beaucoup d’arrogance et même de mépris. C’est un discours qui ne changera pas les fortes tensions post-électorales que connaît le pays, décrypte le politologue Jules Domche. L’issue de cette crise post-électorale dépend des actes de Paul Biya, et non de ses discours. Il faut rappeler que l’autre facteur qui détermine dans quel sens ira cette crise, c’est l’attitude d’Issa Tchiroma Bakary, qui continue de revendiquer sa »victoire » à cette élection. Le pays risque de connaître une série de crises au lendemain de l’investiture du candidat déclaré vainqueur », prévient notre source.
Au côté des avis tranchés, résonne une voix tout en nuances. « La prestation de serment [de Paul Biya, NDLR] a conclu le processus institutionnel et établi la légalité du président élu. Il reste toutefois une interrogation sur la légitimité lorsqu’on observe que le mot d’ordre de »villes mortes » est suivi dans des localités importantes. Le moment est venu de faire prévaloir l’approche politique pour résoudre la crise actuelle, implore Célestin Bedzigui, président du Parti de l’alliance libérale (Pal). Certains auraient préféré que le point d’orgue du discours du président Biya porte sur les « mains tendues et l’union sacrée » évoquées. Cela aurait touché un plus large éventail de la population », regrette cette figure de l’opposition modérée au régime en place.
La gestion des interpellés scrutée de près
Une certitude : la gestion par Paul Biya des personnes interpellées dans le cadre la crise post-électorale sera scrutée. Parmi elles, on retrouve des acteurs politiques connus tels qu’Anicet Ekané, président du Mouvement pour nouvelle indépendance et la démocratie (Manicem), Djeukam Tchameni, du Mouvement pour la démocratie et l’interdépendance (MDI), ou encore l’universitaire Jean-Calvin Aba’a Oyono. Tous sont des soutiens d’Issa Tchiroma Bakary.
On dénombre par ailleurs des dizaines, peut-être des centaines d’individus dont le sort reste préoccupant. « Sur les 121 déférés du jour, 52 victimes ont été conduites de force au parquet du Tribunal militaire de Yaoundé, et 69 au parquet du Tribunal de première instance de Yaoundé », révélait Hyppolyte Meli, avocat des victimes, dans un document mis en circulation le 7 novembre 2025.
Le feuilleton de l’élection présidentielle n’en est pas à son dénouement.
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