Cameroun 2025 : l’urne sans miroir

Une urne
Une urne

À moins de deux mois de la Présidentielle camerounaise, un constat désolant s’impose : l’opacité électorale reste la règle, et non l’exception. Alors que le scrutin du 12 octobre approche à grands pas, l’absence d’un fichier électoral accessible et vérifiable est une nouvelle illustration de l’immobilisme organisé par les autorités camerounaises pour neutraliser toute velléité de changement réel.

Dans une démocratie digne de ce nom, la transparence du fichier électoral est une condition élémentaire. Elle garantit que chaque citoyen inscrit puisse s’assurer de sa présence sur les listes, que chaque bulletin déposé corresponde à une existence réelle, que chaque voix comptée le soit justement. Au Cameroun, cette évidence reste un luxe inaccessible. Les citoyens doivent encore se contenter de promesses floues, de déclarations rassurantes sans preuves, et de délais toujours repoussés au dernier moment.

Un système électoral verrouillé, manipulé, instrumentalisé

Le plus inquiétant n’est pas tant le retard dans la publication du fichier électoral définitif. C’est l’indifférence institutionnelle face à ce dysfonctionnement devenu chronique. À chaque élection, les mêmes scénarios se répètent : absence de fichier national accessible, irrégularités manifestes dans les inscriptions, et absence de mécanismes fiables de vérification publique. Un processus électoral qui commence dans l’obscurité ne peut qu’accoucher de résultats suspects.

Le discours officiel, enrobé de termes techniques, parle de fichier « dynamique » et de « toilettage en cours ». Ces expressions savamment choisies masquent une réalité bien plus grave : un système électoral verrouillé, manipulé, instrumentalisé au service d’un pouvoir qui ne conçoit la légitimité que comme un outil de conservation. Lorsqu’un peuple ne peut pas vérifier la régularité de son propre scrutin, il ne vote pas. Il est voté pour.

Aucun audit indépendant du fichier électoral autorisé

Il est aberrant qu’en 2025, dans un pays qui prétend appartenir à la communauté internationale et qui accueille régulièrement des observateurs étrangers, les électeurs camerounais n’aient toujours pas un accès libre et complet à la liste électorale nationale. Cette carence, loin d’être technique ou accidentelle, est politique. Elle est le fruit d’un choix. Un choix qui permet à ceux qui tiennent les rênes du pouvoir depuis plus de quarante ans, de contrôler chaque maillon du processus électoral, de la collecte des données jusqu’à la proclamation des résultats.

Pendant ce temps, les irrégularités s’accumulent. Des noms de défunts apparaissent encore sur les listes, parfois même plusieurs années après leur décès. Des doublons flagrants, des inscrits aux informations incomplètes, des photographies d’enfants manifestement mineurs… La simple observation de quelques listes locales suffit à semer le doute sur la crédibilité du processus. Et pourtant, aucun audit indépendant du fichier électoral n’a été autorisé. Pire encore, les voix qui s’élèvent pour dénoncer ces pratiques sont souvent marginalisées, ignorées, ou accusées de troubler l’ordre public.

Une fatalité à laquelle même l’opposition s’habitue

Il est aussi significatif de constater que peu de candidats, pourtant censés représenter des alternatives au système en place, dénoncent avec vigueur cet état de fait. Comme si l’opacité ambiante faisait désormais partie du décor, une fatalité à laquelle même l’opposition s’habitue. Pourtant, quelle légitimité peut-on espérer tirer d’un scrutin dont les fondations mêmes sont corrompues par le secret et la manipulation ?

Le mutisme des institutions face aux demandes de publication du fichier électoral, y compris celles portées devant le Conseil constitutionnel, en dit long sur le mépris des autorités envers le droit fondamental à la transparence. On refuse de rendre des comptes. On refuse de laisser le peuple regarder dans le miroir de l’urne, de peur qu’il n’y voie autre chose que l’image préparée à l’avance.

L’appel à une mobilisation citoyenne le jour du vote, bien que salutaire, ne saurait combler les lacunes structurelles d’un processus déjà vicié en amont. On ne peut pas bâtir la confiance sur la surveillance populaire seule, surtout lorsque les règles du jeu sont truquées dès le départ. La démocratie ne se réduit pas à une journée de vote ; elle commence bien avant, par la confiance dans les institutions chargées de la garantir.

Le Cameroun mérite une élection où chaque citoyen peut exercer son droit

Ce scrutin, comme tant d’autres avant lui, risque fort de n’être qu’une mise en scène de participation, une pièce de théâtre où le décor du pluralisme cache à peine la mainmise d’un régime qui refuse obstinément l’alternance. Ce n’est pas simplement une crise technique ou logistique. C’est une crise de confiance profonde, entretenue par l’opacité, la désinvolture et l’impunité.

Le Cameroun mérite mieux. Il mérite un processus électoral digne, accessible, crédible. Il mérite que sa souveraineté populaire ne soit pas confisquée par des fichiers truqués ou inaccessibles. Il mérite une élection où chaque citoyen peut, en conscience, exercer son droit de vote avec la certitude que sa voix comptera réellement.

Tant que les autorités refuseront de rendre publics les fondements mêmes de la légitimité électorale, elles ne gouverneront pas avec le consentement éclairé du peuple, mais à travers la peur, la résignation et la dissimulation. Et c’est là le véritable péril pour l’avenir démocratique du Cameroun.

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