Armando Cabral, un succès «made in Bissau» façonné à New York

Né à Bissau, l’ancien modèle Armando Cabral, désormais devenu entrepreneur à succès, est un amoureux des matières, des styles et de la mode sous toutes ses coutures. Après avoir grandi au Portugal, Cabral a conquis les passerelles du monde entier et défilé avec les plus grands créateurs. Installé à New York depuis presque vingt ans, le Luso-Bissau-Guinéen veut continuer d’impacter le monde de la mode, avec son continent de naissance comme constante source d’inspiration créatrice.
De notre correspondant à New York,
Paris. Londres. Tokyo. New York. Armando Cabral a défilé pour les plus grands, a été pris en photos dans toutes les places fortes de la mode mondiale, durant plus de quinze ans. « Quand je regarde dans le rétroviseur, je me dis que je n’aurai jamais pu imaginer qu’il m’arrive une chose pareille, moi, qui rêvais surtout d’être basketteur en NBA », sourit-il du haut de ses 43 printemps.
« Je pensais plus au ballon orange qu’à défiler »
Né en Guinée-Bissau, sa famille quitte le pays quand il a 4 ans, pour s’installer à Lisbonne, dans le quartier populaire d’Amadora. Il vit une enfance simple, joue au foot, au basket, va s’amuser à la plage, et profite de la richesse culturelle lisboète. Cabral est attiré par la mode, comme beaucoup de jeunes de son âge, mais ne prend pas la chose très au sérieux, malgré une sœur, Maria Do Ceu, mannequin, et une mère couturière. « Je pensais surtout à devenir le premier joueur portugais à aller en NBA, et bien moins aux passerelles ! [Rires] Mais, un jour, Maria, qui suivait des cours dans un institut de mode, me demande de venir avec elle. J’ai défilé devant des professeurs qui me disaient que je devais me lancer au plus vite, mais je pensais plus au ballon orange qu’à défiler », se souvient-il.
Néanmoins, après quelque temps, sa sœur le pousse à ce qu’il s’inscrive dans ce même institut, mais moins de quinze jours plus tard, son père lui fait stopper ses cours et lui propose de partir à l’université à Londres. Il accepte la décision, part en Angleterre à ses 18 ans pour des études de gestion. Ses premiers mois sont difficiles, mais, fréquemment, lorsqu’il sort, il se fait approcher par des scouts d’agences de mode, qui lui demandent s’il est modèle. Cabral décide de contacter plusieurs agences, pourtant, durant les premiers mois, personne ne lui ouvre les portes. Il insiste, car il pense qu’il a une carte à jouer. « J’allais taper aux portes tous les trois mois, je voulais juste avoir une opportunité ! », sourit-il. « Quand j’ai commencé les castings, on me prenait à tous ceux auxquels je me présentais ! Puis d’un coup on m’envoie à la Fashion Week de Milan, en 2002, c’était fou ! ».
Il défile pour Benetton et séduit tellement qu’il est nommé modèle principal de la campagne. Un autre mastodonte du milieu se l’arrache : Calvin Klein le veut en exclusivité. Cabral voit sa carrière décoller, mais garde la tête froide, malgré le fait de se voir sur d’énormes pancartes et magazines aux quatre coins du monde. « Je viens d’un milieu modeste, et bien sûr que je profitais de l’expérience à fond, mais certains jours, je me disais que c’était juste irréel », explique-t-il. Il vient de temps en temps à New York à partir de 2005, mais n’aime pas la ville. Toutefois, sa carrière le pousse à traverser l’Atlantique. L’agence avec laquelle il travaille, IMG, l’une des références du secteur, le propose à plusieurs marques, qui se l’arrachent. « Je suis tombé amoureux de la Grosse Pomme progressivement, son énergie créatrice, sa diversité, sa dynamique. J’ai donc fait le grand saut ». Son rêve américain ne fait que commencer.
L’Afrique au cœur de ses créations
Son passage au pays de l’Oncle Sam est un succès immédiat, en devenant l’un des tops modèles masculins les plus convoités du marché. Il est en haut de l’affiche, mais Cabral pense déjà à la suite, à « l’après », car il sait bien que les défilés ne sont pas éternels, et que les carrières au plus haut niveau de l’industrie sont assez courtes. « Je vivais un rêve éveillé, mais j’ai aussi toujours été conscient que cela ne durerait pas toute une vie », explique-t-il. « J’ai commencé à évoquer l’idée de lancer ma marque alors que ma carrière battait son plein, mais j’ai vécu un drame familial qui m’a beaucoup perturbé ».
En 2008, sa mère, sa grande source d’inspiration, décède. Il veut tout plaquer et retourner au Portugal. Après plusieurs discussions avec sa famille, et pour aussi rendre hommage à sa mère et à ses origines, il décide de lancer sa marque. « Je me souviens qu’elle me disait toujours de tout donner pour atteindre mes rêves, de toujours croire en moi. Ses mots sont restés gravés en moi ». Diplômé en gestion et avec un réseau énorme dans la mode, Cabral réalise durant ses années passées sur les passerelles qu’un élément n’est pas toujours assez mis en valeur : les chaussures. Il crée sa marque, qui porte son nom, et s’associe avec Rookie Zambrano, ancien directeur créatif chez Hugo Boss. Il lance sa première collection en 2019 et la vend au Portugal, le pays où une grande partie des produits sont fabriqués. Les premières commandes sont passées, puis une première boutique ouvre au Koweït, puis à Lisbonne, puis à New York. Les inspirations africaines sont fortes, et la pandémie vient donner un autre élan à ses inspirations.
« Je suis fier d’être un ambassadeur pour les jeunes Africain(e)s »
« J’ai lu beaucoup de livres sur les cultures ouest-africaines, sur l’ancien Royaume du Mali par exemple, dont la Guinée-Bissau faisait partie. Ça m’a fasciné, ça m’a donné tellement d’idées ! ». Il diversifie également en créant des meubles design de luxe, avec des styles inspirés par l’Afrique de l’Ouest. Ses produits se vendent comme des petits pains, mais la mission de Cabral dépasse les objets, les chaussures qu’il crée. « Je suis fier d’être un ambassadeur pour les jeunes Africain(e)s, d’être quelqu’un qui a ouvert d’une certaine manière la voie à d’autres dans ce milieu. Les talents du continent, de sa diaspora, sont énormes. Et si mon histoire, mon parcours, et mes créations peuvent aider la nouvelle génération, j’en serai très heureux », conclut-il.



