Des refrains pour l’Histoire est la nouvelle chronique musicale de l’été sur RFI qui veut raconter les temps forts et les bouleversements de l’histoire du continent africain, à partir des chansons qui les ont accompagnés. Pour le quatrième épisode, « Balumukeno », quand Bonga appelle les Angolais à « se lever » contre le colon. Le pays était encore sous joug portugais à sa sortie, en 1972.
En Angola, un hymne de résistance était entonné par celles et ceux qui ont lutté contre la colonisation portugaise. À son origine, un musicien au timbre suave inimitable, Bonga et sa chanson « Balumukeno ».
« Balumukeno veut dire « levez-vous » dans la langue bantou Kibundo, dit le chanteur. C’est l’appel que je lance à toute la population : “on en a marre. On est là à temps de supporter tous les malheurs du monde par des étrangers qui sont venus nous coloniser et qui font ce qu’ils veulent de nos et nous, on ne réagit pas ». Eh ben voilà ça, c’est Balumukeno. »
À 83 ans, Bonga n’a rien perdu de sa verve et en parle comme si c’était hier. L’histoire se passe pourtant dans les années 1960, quand le mouvement de libération de l’Angola prend forme. L’un de ses fondateurs est Romberto Holden : « Nous avons pris les armes. Et nous ne les déposerons que lorsque le Portugal aura reconnu le principe de l’auto-détermination et de l’indépendance du peuple angolais. Aussi longtemps que le Portugal n’aura pas reconnu ce principe, nous lutterons 100 ans s’il le faut », avait-il déclaré à l’époque.
Alors que certains s’entraînent au maniement des armes, Bonga, lui, résiste dans l’arène culturelle. Il a une vingtaine d’années, vit à Luanda, et le soir, dans le silence de sa chambre, il écrit. Des poèmes, des mots chargés de colère et d’espoir pour défendre l’angolité, l’identité nationale menacée par la colonisation portugaise.
À cette époque, c’est aussi cela résister. C’est ainsi que naissent les paroles de la chanson.
« J’ai toujours écrit des choses en écoutant mes grands-parents, tu vois, et les voisins, parce que je suis quand même privilégié, raconte-t-il. Parce que j’ai vécu une époque, une époque d’or, les vieux qui nous racontaient des choses fantastiques : la philosophie, la psychologie de résistance et beaucoup d’autres choses fantastiques. L’éducation que moi, j’avais à la maison, c’était beaucoup plus important que l’éducation de l’école. Parce que l’éducation de l’école, c’était l’éducation coloniale tout en étant en Afrique. Il fallait apprendre les choses du Portugal. Mais je n’en ai rien à battre. Avec tous les respects que je dois chacun des peuples à sa culture naturelle, même avec la colonisation. C’est ça qu’il fallait défendre. Et j’ai commencé à écrire. »
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« L’Angola n’est pas vraiment indépendant, pas comme j’aurais voulu »
Bonga est aussi un champion de course à pied. Sa spécialité, le 400 mètres. Grâce à son talent, il échappe aux interdits imposés par les colons et est envoyé à Lisbonne. Là-bas, il court pour le Portugal, mais il est aussi membre du MPLA, l’un des mouvements indépendantistes. Et la police secrète portugaise (Pide) ne tarde pas à repérer ses activités militantes. Il doit s’exiler direction Rotterdam.
Et c’est là, en 1972, qu’il enregistre cette chanson et tout un album, son premier en une seule journée. « Si vite parce que Bonga n’était pas connu. Je chantais dans les fêtes cap-verdiennes en Hollande, dans mon refuge politique artistique. Personne ne va parier sur quelqu’un qui n’est pas connu, et cetera. Eh ben voilà, tout ça a commencé comme ça. »
L’album Angola 72 est un immense succès. La carrière de Bonga est lancée : « Ça a fait un boom. » Alors bien sûr, en Angola, il est interdit, mais grâce aux réseaux clandestins de la résistance et il circule sous le manteau. Rapidement, il devient un hymne de la révolution.
Une révolution qui se joue d’abord à Lisbonne. En 1974, des officiers font tomber la dictature de Salazar. C’est la Révolution des Œillets. Elle sonne le glas de l’empire portugais et ouvre la voie à l’indépendance de l’Angola en 1975.
Malgré la libération de l’Angola, la guerre continue. Cette fois, entre frères, entre mouvements indépendantistes. Bonga, lui, n’arrêtera jamais d’appeler ses compatriotes à se lever et à résister : « Et l’Angola n’est pas vraiment indépendant, pas comme j’aurais voulu, pas comme ma génération l’aurait voulu. Il y a encore des choses à dire. »
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