AKAA 2025: Serge Mouangue révolutionne l’esthétique entre l'Afrique et le Japon

Avec son œuvre monumentale, La troisième esthétique, présentée par la galerie japonaise space Un, Serge Mouangue fait sensation à la dixième édition de AKAA. Le plus grand salon pour les arts contemporains d’Afrique et de la diaspora africaine, ouvre vendredi 24 octobre. Au Carreau du Temple, à Paris, l’artiste designer camerounais réussit une fusion artistiquement brillante et imposante entre les esprits africains qui l’ont vu naître et les esprits du Japon, son pays d’adoption.
RFI : Votre œuvre monumentale occupe l’axe central du salon Also Known As Africa (AKAA). Vers quel nouvel horizon nous porte La troisième esthétique ?
Serge Mouangue : La troisième esthétique, c’est un univers d’expression qui est ni totalement celui de l’Afrique de l’Ouest, ni totalement celui du Japon. C’est une nouvelle voie esthétique, un nouveau vocabulaire que j’essaie d’inscrire et que je présente ici à AKAA.
Cette création géante est composée de quatre sculptures, chacune très spécifique. Il y a, par exemple, sur 11 mètres, l’installation Seven Sisters, une sorte de procession de femmes mystérieuses, portant de masques japonais Punu. Quelle est la place des femmes dans votre œuvre ?
La place de la femme dans mon travail est fondamentale, parce qu’elles portent par leur nature beaucoup de symboliques. Seven Sisters est une procession de 14 femmes, dont sept d’entre elles ont un secret que les autres ne connaissent pas, mais les 14 viennent d’un village commun. Elles partagent des souffrances communes et des joies communes. Et durant cette procession vers le mont Fuji, elles se chuchotent les histoires du passé, du présent et de là où elles ont envie d’aller.

Mamori-gami, « gardiens », est un autre élément de La troisième esthétique, un entrelacement de perles camerounaises, de masques japonais kendo et de cordes sacrées. Avec ces rencontres à la fois improbables, pertinentes et fascinantes, retrouvons-nous au cœur de votre travail ?
Tout à fait. Mamori-gami veut grossièrement dire « les esprits qui protègent ». Cette œuvre est créée à partir de Shimenawa, les cordes sacrées du Japon. Des cordes présentées à l’entrée des temples shinto au Japon et qui délimitent un espace sacré et un espace profane. Cette œuvre-là délimite, elle aussi, derrière moi cet espace sacré que j’ai voulu recréer, au bout duquel vous avez des masques de combattants de kendo sur lesquels il y a effectivement tissé des perles du pays Bamiléké sur leurs coiffes.

Vous êtes né à Yaoundé, au Cameroun, vous avez grandi à partir de l’âge de dix ans à Paris où vous vous êtes aussi formé à l’École nationale supérieure de création industrielle. Après, vous avez travaillé en Australie avant de vous installer au Japon. Qu’est-ce qui reste aujourd’hui de votre culture camerounaise et africaine dans votre travail ?
C’est en allant au Japon que je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de similitudes entre le Japon et là où je suis né, le Cameroun, et, plus largement, l’Afrique de l’Ouest. Vivre au Japon, ce n’est pas tout abandonner. En même temps, vivre au Japon, c’est avoir des révélations de là d’où on vient. Et c’est ce qui s’est passé, parce que j’ai vu qu’il y avait des similitudes entre là où je vivais au Japon et là d’où je venais. À la suite, j’ai travaillé dans beaucoup de régions du monde. Mais on n’oublie jamais d’où l’on vient. Parce que c’est un peu la base de ce qui nous structure, de ce qui nous ordonne.
Mes traditions, mon passé, mes origines, ne sont jamais oubliés. Mais je préfère les transformer, avec mes expériences que j’ai au cours du temps, plutôt que de les abandonner ou de ne rien en faire. Parce que je suis artiste et designer, j’ai choisi de procéder à la transformation de telle sorte à créer une nouvelle écriture, un nouveau vocabulaire, qui peut être le signe d’espoir pour les générations à suivre. On vit dans un monde qui est très polarisé, mais, en réalité, on sait très bien que nos origines sont très proches. Avant d’être du pays Bamiléké ou du nord du Japon, nous sommes des êtres humains. Et les racines animistes qui nous portent sont constamment présentes.

L’un des très grands projets de votre carrière artistique est Wafrica, une plateforme fondée en 2008.
Wafrica porte deux noms qui n’en font qu’un. « Wa » veut dire « Japon », et l’idéogramme de « Wa » signifie aussi « harmonie ». Associée avec l’Afrique, cela décrit tout simplement, non seulement l’objectif, mais de là où et comment est né ce projet de dialogue culturel. Wafrica est une façon de signer ou d’exprimer dans le long terme et, j’espère, pour dizaines de générations qui suivront, un espoir de pouvoir trouver de la communalité par le biais de la création et de l’art. Soyons plus humbles avec notre identité, avec nos origines. Parce que tout cela se transforme, se mue. L’identité, c’est une expérience, ce n’est pas un dû. C’est quelque chose que l’on construit avec le temps. Et si cela se termine dans un pays où l’on n’est pas né, ce n’est pas grave. On peut très bien se sentir chez soi à des milliers de kilomètres de là où on est né. C’est une marque d’espoir dans ce monde qui est très globalisé.
Une œuvre avec laquelle vous avez frappé l’opinion publique, était votre kimono « africain », rehaussé de motifs wax, dont un exemplaire a été porté par Victoria Abril, l’une des actrices fétiches de Pedro Almodóvar, au Festival de Cannes, en 2017. Quelle est la relation de votre œuvre avec le cinéma ?
La relation directe, elle n’est pas encore créée, même s’il y a des sollicitations, que vous verrez peut-être dans un futur proche. Le cinéma est un monde où on exacerbe la représentation. Effectivement, le « kimono africain », comme vous l’avez nommé, était une de mes premières créations de Wafrica. Cela a permis d’encapsuler, très rapidement, dans une pièce unique, l’expressivité de ce dialogue culturel. Je continue à travailler le kimono, parce que c’est infini comme support. Et la pièce faite pour Victoria Abril, c’était une façon de dire : même si c’est Wafrica, ça peut être porté et être supporté par une actrice qui vient ni d’Afrique de l’Ouest, ni du Japon, mais qui est, en l’occurrence, d’origine espagnole.

AKAA, foire d’art contemporain centrée sur l’Afrique et ses diasporas, du 24 au 26 octobre 2025 au Carreau du Temple, Paris.



