Afrique: Les orientations stratégiques mises en avant au Africa Manufacturing Investment Forum

Le Africa Manufacturing Investment Forum (AMIF) a ouvert la troisième journée du Africa Industrialization Forum 2025, qui se tient actuellement à Kampala, en Ouganda, et ce jusqu’au 21 novembre. Lors d’une intervention consacrée à l’état du secteur manufacturier en Afrique, le Dr Patrick B. Birungi, Directeur exécutif de l’Ouganda Development Corporation (UDC), a dressé un diagnostic sans concession des faiblesses structurelles qui freinent l’industrialisation du continent.
Sous le thème « Accélérer la croissance du secteur manufacturier en Afrique grâce aux infrastructures, au développement des compétences et au financement des projets », ce forum a permis de mettre en lumière les défis auxquels le secteur est confronté.
Malgré une population jeune et d’importantes ressources naturelles, l’Afrique ne représente encore que 1,5 % du Manufacturing Value Added (MVA) mondial, un chiffre qui souligne l’urgence d’une transformation profonde des économies africaines.
Selon le Dr Birungi, l’Afrique reste largement à la périphérie de la production industrielle mondiale. Alors que l’Asie génère près de 50 % de la valeur manufacturière ajoutée et que l’Europe et l’Amérique du Nord affichent respectivement 22 % et 17 %, le continent africain ne parvient pas à décoller. Seuls 14 % des exportations africaines sont constituées de produits transformés, un niveau très inférieur à celui de l’Asie émergente.
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Cette faiblesse structurelle s’explique notamment par une intégration quasi inexistante aux chaînes de valeur mondiales : 80 % des biens manufacturés africains sont consommés localement, faute de volumes compétitifs et d’infrastructures adaptées.
Un sous-investissement chronique qui freine l’industrialisation
Le Directeur exécutif de l’UDC a souligné la fragilité du financement industriel sur le continent. « Entre 2020 et 2024, les IDE vers l’Afrique n’ont pas dépassé 55 milliards USD par an, et plus de 75 % de ces flux se dirigent vers les mines et les grands projets d’infrastructures, laissant le secteur manufacturier à la marge », a-t-il précisé.
À cela s’ajoutent des conditions de crédit particulièrement défavorables : un taux d’intérêt moyen de 18,6 %, des exigences de garanties dépassant 120 % du montant emprunté et une faible disponibilité du crédit privé (18 % du PIB). Pour le Dr Birungi, ces facteurs rendent presque impossible tout investissement industriel de long terme, d’autant que les institutions financières de développement africaines demeurent sous-capitalisées.
Des conséquences lourdes sur l’emploi et la croissance
Cette sous-performance industrielle a des effets immédiats sur les économies africaines, tels que l’impossibilité pour les entreprises d’augmenter leur capacité de production ou de moderniser leurs équipements, une création d’emplois insuffisante alors que 25 à 30 millions de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail, et une dépendance massive aux importations de produits transformés, qui atteignent 250 milliards USD par an.
Le Dr Birungi insiste sur un fait important : sans une base industrielle solide, les États africains restent limités dans leurs capacités fiscales, leur compétitivité et leur aptitude à créer de la valeur localement.
Mobiliser les capitaux africains pour financer l’industrie
Face à la faiblesse des flux financiers extérieurs, le Directeur exécutif de l’UDC appelle à mobiliser l’épargne et les capitaux domestiques. Les fonds de pension, compagnies d’assurance et fonds souverains africains gèrent aujourd’hui 2,1 billions USD d’actifs, dont une grande partie est placée à l’étranger. Affecter seulement 5 % de ces ressources au secteur manufacturier permettrait de libérer 105 milliards USD de financements à long terme.
Plusieurs pays montrent déjà la voie, comme l’Afrique du Sud, dont le Public Investment Corporation investit une part de ses fonds dans des projets industriels, ou encore le Kenya, avec le Kenya Pension Funds Investment Consortium (KEPFIC), qui mutualise les ressources des fonds de pension pour financer des infrastructures.
Renforcer les politiques publiques pour attirer les capitaux
Le Dr Birungi rappelle que les gouvernements doivent jouer un rôle structurant en créant un environnement favorable à l’investissement.
Il recommande notamment des réformes macroéconomiques et réglementaires pour renforcer la confiance des investisseurs, le développement de politiques fiscales incitatives (exonérations, amortissement accéléré, mesures pro-export), la création et la modernisation d’infrastructures industrielles, le renforcement du capital des institutions de financement du développement ainsi que l’utilisation d’instruments financiers innovants comme les obligations industrielles, les diaspora bonds ou les plateformes d’investissement mutualisé.
Un appel à une stratégie industrielle ambitieuse
En conclusion, le Dr Patrick B. Birungi appelle les pays africains à intégrer ces instruments financiers dans des stratégies nationales d’industrialisation cohérentes, afin de combler les lacunes structurelles qui freinent la transformation du continent. Pour lui, la mobilisation des ressources locales, combinée à un meilleur ciblage des IDE, constitue l’unique voie pour augmenter significativement la part de l’Afrique dans la production manufacturière mondiale et bâtir une croissance durable.



