Les Nations unies reconnaissent qu’il sera impossible de maintenir le réchauffement climatique en dessous de +2°C, un niveau vivable, sans le savoir et les pratiques des peuples autochtones. Mais en Amérique latine, dans la forêt amazonienne, d’autres communautés contribuent à protéger la forêt : les descendants des esclaves africains échappés des plantations coloniales et qui vivent toujours en petites communautés rurales. Grâce à leurs pratiques agricoles particulières venues d’Afrique, ils protègent la biodiversité et permettent d’atténuer le réchauffement climatique selon une étude scientifique publiée ce mardi 22 août dans la revue Nature. Et ce rôle n’est pas suffisamment reconnu selon les auteurs.
Ils se nomment Mocambos, Quilombos ou Cumbes au Brésil, Palenques en Colombie et Marrons au Suriname. « Certains se sont échappés avant d’être réduits en esclavage, d’autres ont fui les plantations coloniales et se sont installés dans les coins reculés des Amériques », raconte Hugo Jabini, chef Marron de la tribu Saamaka, au Suriname.
Plusieurs siècles après le début de la traite des Noirs, les communautés afrodescendantes sont aujourd’hui enracinées dans ces terres, dans la forêt tropicale amazonienne. « Nous continuons à vivre en harmonie avec la forêt, elle est au coeur de nos croyances, de notre système social et de notre identité culturelle. Nos pratiques de gestion des terres combinent un savoir africain traditionnel à la forêt tropicale amazonienne », explique-t-il.
Une étude scientifique, publiée dans la revue Nature ce mardi 22 juillet, s’est penchée sur ces pratiques dans les communautés afrodescendantes du Brésil, de Colombie, du Suriname et d’Équateur.
« Des pratiques africaines éprouvées ont traversé l’océan Atlantique avec les personnes réduites en esclavage et ont finalement été appliquées aux plantes et aux animaux des Amériques » notent les chercheurs. C’est par exemple le cas du principe de « forêts alimentaires ». De la cime des arbres jusqu’au sol, la forêt est aménagée pour produire des fruits, des légumes, mais aussi des racines, des feuilles et des baies en complément. Les communautés y trouvent également des plantes médicinales, du bois de chauffage et les éléments rituels. Il s’agissait aussi de ne pas être repérés.
Les Marrons ont donc « caché leurs cultures, minimisé le défrichement, évité les incendies et cultivés diverses variétés de plantes » pour pouvoir vivre en autonomie. Ces pratiques qualifiées par les auteurs de l’étude « d’agriculture d’évasion » persistent dans les systèmes de culture de leurs descendants. Résultat : une nature préservée.
Moins de déforestation et une plus grande biodiversité
Mis à part au Suriname, où les droits des peuples afrodescendants ne sont pas reconnus, « nous avons constaté que la déforestation dans les terres des afrodescendants est systématiquement et significativement plus faible – entre 29 et 55 % de moins, que dans des zones similaires », explique Sushma Shrestha, autrice principale de l’étude.
Ces terres sont de meilleurs puits de carbone, ce qui participe à l’atténuation du réchauffement climatique. Elles sont aussi particulièrement riches en biodiversité. « Plus de la moitié de ces territoires sont dans les 5% les plus riches en biodiversité au niveau mondial », précise la chercheuse. On y retrouve près de la moitié des espèces de vertébrés terrestres menacées dans ces pays. « Ces résultats soulignent le rôle crucial des savoirs des afrodescendants pour les objectifs de conservation de la biodiversité et des engagements climatiques » des pays de la région.
En Amérique latine, 130 millions de personnes s’identifient comme afrodescendantes aujourd’hui, soit une personne sur quatre. Pourtant, « il y a un manque d’information sur la contribution environnementale des peuples afrodescendants », déplore Sushma Shrestha, et « ces peuples ne détiennent les droits que de moins de 1% des terres » dans les quatre pays couverts par l’étude. « Ces terres officiellement reconnues ne sont qu’une toute petite fraction des zones réellement habitées par les descendants d’esclaves », ajoute la chercheuse.
La lutte pour leurs droits est une lutte au long cours pour ces communautés qui font également face à plusieurs menaces : urbanisation, violences, exploitation du bois, mines illégales ou pratiques agricoles modernes. « Les monocultures, qui reprennent le modèle des plantations de l’ère coloniale, sont des systèmes biologiquement appauvris », rappellent les scientifiques.
En quête d’une reconnaissance internationale
Les chercheurs et les défenseurs des droits humains plaident donc pour que les afrodescendants bénéficient d’une meilleure visibilité dans les instances internationales où sont prises d’importantes décisions politiques et où les aides financières sont attribuées. La reconnaissance de l’importance de leurs savoirs au sein de la Convention sur la diversité biologique (CDB), lors de la COP16 Biodiversité à Cali en 2024, est un premier pas. Elle ouvre la voie à la participation des peuples afrodescendants à la gouvernance mondiale de la biodiversité.
Alors que les pays du monde entier élaborent activement des stratégies pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, les pratiques de ces communautés peuvent également être une solution contre le changement climatique, en particulier « dans les pays d’Amérique latine dotés d’un vaste couvert forestier, et où la déforestation reste l’un des principaux facteurs d’émissions de gaz à effet de serre », estime l’étude qui plaide pour une reconnaissance de leur rôle à la COP30 dédiée à la lutte contre le changement climatique cette fois et qui doit justement se tenir en fin d’année à Belém, aux portes de l’Amazonie brésilienne.
Le programme des Nations Unies pour l’environnement reconnaît qu’il sera impossible de maintenir le réchauffement climatique en dessous de +2 degrés, c’est-à-dire à un niveau vivable, sans le savoir des peuples autochtones, les Premières Nations américaines. Comme eux, les afrodescendants ont un rôle à jouer. Et comme pour les peuples autochtones, leurs droits doivent être reconnus.
La déclaration de l’ONU pour les peuples autochtones rappelle par ailleurs que « les peuples autochtones ont subi des injustices historiques à cause, entre autres, de la colonisation et de la dépossession de leurs terres », et qui stipule qu’ils ont le droit de contrôler ces terres et leurs ressources. Une déclaration qui résonne particulièrement avec l’histoire des descendants d’esclaves noirs venus d’Afrique et qui ont gagné leur liberté dans les forêts d’Amériques.