Afrique: Le continent à la croisée des chemins entre rente pétrolière et transition énergétique

Malgré un potentiel renouvelable inégalé, les investissements énergétiques en Afrique restent dominés par le pétrole et le gaz. Une dépendance qui interroge la souveraineté énergétique du continent et soulève des enjeux géopolitiques, économiques et sécuritaires majeurs.

« L’Afrique est peut-être le continent de demain, mais elle consomme encore l’énergie d’hier ». Cette formule d’un diplomate européen résume le paradoxe qui s’installe au coeur de la politique énergétique africaine. Alors que le monde accélère la décarbonation de ses économies, l’Afrique semble conforter sa place dans l’économie mondiale des hydrocarbures. Et ce, malgré une abondance exceptionnelle en ressources renouvelables, notamment solaires et hydrauliques.

Une géopolitique de l’or noir renouvelée


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L’élargissement récent du cercle des pays producteurs (Mauritanie, Mozambique, Namibie, Sénégal) redessine les équilibres stratégiques sur le continent. Si les « historiques » que sont le Nigeria, la Libye ou l’Angola dominent toujours le secteur, les nouveaux entrants cherchent à tirer profit d’un contexte international favorable : hausse de la demande gazière, stratégie de diversification des majors, et appétit asiatique pour de nouveaux partenaires énergétiques.

Selon la Chambre africaine de l’énergie, les investissements dans les hydrocarbures devraient atteindre 54 milliards de dollars d’ici à 2030, contre 47 milliards en 2024. Une croissance continue, en contradiction avec les trajectoires observées ailleurs : au niveau mondial, la part des hydrocarbures dans les investissements énergétiques est tombée à 34 %, contre 52 % en Afrique (source : Agence internationale de l’énergie).

L’économie de rente en question

Cette dynamique n’est pas sans risques. « La malédiction de l’or noir reste une réalité pour l’Afrique », affirme un expert en intelligence économique. Concentration des richesses, dépendance aux exportations, faible industrialisation, vulnérabilité face aux chocs exogènes : les symptômes classiques perdurent. 75 % de la production africaine est exportée, tandis que le continent importe encore massivement ses produits raffinés, aggravant les déficits commerciaux.

Les projets de raffineries, tels que Lobito en Angola ou Hoima en Ouganda, peinent à se concrétiser malgré leur urgence stratégique. Seules exceptions notables : la méga-raffinerie Dangote au Nigeria (650 000 barils/jour), en cours de montée en puissance ; et le récent accord ougandais avec Alpha MBM (Émirats) pour une raffinerie à 4 milliards de dollars.

L’émergence verte, entre potentiel et inertie

Paradoxalement, l’Afrique dispose de 60 % du potentiel mondial en énergie solaire. Pourtant, en 2024, les investissements dans les renouvelables ne représentaient que 40 milliards de dollars, soit trois fois moins qu’en Europe (AIE). Le potentiel hydroélectrique reste également sous-exploité : seulement 11 % est actuellement mobilisé.

La dynamique reste néanmoins positive : les investissements privés ont plus que doublé entre 2019 et 2024. Mais les projections restent contrastées : le scénario STEPS (AIE) ( 47 % des investissements énergétiques en 2035 resteront orientés vers les hydrocarbures); et le scénario promesses (basculement vers 80 % d’investissements renouvelables à la même échéance).

Entre dépendance énergétique et souveraineté à construire

La question énergétique africaine se situe aujourd’hui au carrefour de la géopolitique, de la souveraineté industrielle et de la sécurité régionale. En choisissant de capitaliser sur les hydrocarbures, nombre d’États africains privilégient une voie de développement à court terme, plus sécurisée, mais potentiellement piégeuse.

À long terme, la véritable indépendance énergétique passera par une maîtrise des filières de production et de transformation, tant dans les hydrocarbures que dans les renouvelables. La compétition entre puissances (Chine, États-Unis, Turquie, Émirats) pour accéder à ces ressources accroît l’importance stratégique du continent sur l’échiquier mondial. Alors que l’Afrique s’impose comme un acteur énergétique incontournable, le choix entre hydrocarbures et renouvelables n’est pas simplement technique ou économique : il est fondamentalement politique.

À l’heure où les COP successives plaident pour une sortie accélérée des énergies fossiles, le continent doit négocier sa place dans le monde de demain sans céder à la facilité du modèle extractiviste. « L’Afrique n’a pas à choisir entre développement et transition énergétique. Elle doit exiger les moyens de réussir les deux », soutient un haut responsable de l’Union africaine.

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