Afrique: Enclavement africain – De l'isolement à la connexion stratégique

Face aux désavantages logistiques et commerciaux, l’Afrique enclavée s’allie à l’ONU et à des initiatives régionales comme le Maroc Atlantique pour transformer son handicap géographique en levier géoéconomique.
Une mutation qui interroge les équilibres régionaux et la gouvernance mondiale. Par-delà les frontières, un nouvel agenda se dessine pour les seize pays africains privés d’accès à la mer. Marginalisés dans le commerce mondial, tributaires de corridors instables et freinés dans leur industrialisation, ces États – de l’Éthiopie au Zimbabwe – concentrent un paradoxe : riches en ressources, pauvres en débouchés.
La conférence de l’ONU sur les pays sans littoral, qui vient de se tenir à Awaza, dans le Turkimenistan, a voulu rompre avec cette logique en dévoilant une feuille de route structurante. Derrière la technicité des réformes prônées – intégration régionale, numérisation douanière, modernisation logistique – se joue une bataille plus vaste : celle de la souveraineté économique.
L’intégration par la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlécaf) permet déjà de rediriger les flux vers des marchés intra-africains en croissance, tandis que les gains des corridors logistiques – comme celui de l’Afrique de l’Est – montrent que l’efficacité peut naître de la coopération.
En Afrique centrale, où l’enclavement est aggravé par des conflits et une gouvernance fragile (Centrafrique, Tchad), ces avancées restent cependant embryonnaires, freinées par une instabilité politique structurelle. Mais le tournant pourrait venir de l’extérieur du cadre onusien. À l’instar de l’initiative Maroc Atlantique, qui ambitionne d’offrir aux pays sahéliens un accès stratégique à l’Atlantique via des infrastructures modernes, la géopolitique du désenclavement prend une nouvelle dimension.
Ce projet, en apparence logistique, s’inscrit dans une dynamique plus large de rééquilibrage géoéconomique, où le Maroc cherche à renforcer son rôle pivot entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe. Pour le Sahel, c’est l’opportunité d’un ancrage alternatif face à un environnement régional sous tension – notamment avec le recentrage de l’AES sur des enjeux de souveraineté.
Dans cette reconfiguration, le numérique s’affirme comme catalyseur. Si les exportations digitales des pays enclavés ne représentent encore que 0,3 % des flux mondiaux, leur croissance est fulgurante. Les services en ligne, insensibles aux barrières physiques, pourraient à terme compenser le déficit d’accès aux marchés maritimes – à condition que les inégalités d’accès au haut débit et à la 4G soient corrigées.
Enfin, les minéraux critiques et le tourisme ouvrent d’autres horizons. Ressources convoitées pour la transition énergétique mondiale, afflux touristique post-Covid, démographie jeune : les atouts ne manquent pas. Mais sans réforme structurelle de l’architecture financière internationale – dette, fiscalité, investissements – point de développement durable.
Comme l’a martelé la Cnuced à Séville : pas de prospérité sans cohérence des systèmes. Le désenclavement n’est plus une simple affaire de routes ou de ports, mais une question de stratégie collective, d’intelligence économique et de volonté diplomatique. Pour l’Afrique centrale comme pour l’ensemble des pays enclavés, c’est un test grandeur nature de solidarité régionale et de leadership. Car l’alternative n’est pas seulement entre isolement et intégration, mais entre survie subie et développement choisi.