Afrique de l'Est: Le chef du renseignement soudanais en Somalie – Bataille d'influences dans la sous-région

Une délégation soudanaise dirigée par le chef des renseignements généraux, le général Ahmed Ibrahim Mufaddal, et le général Ali Sbeir, chef des renseignements militaires, a effectué discrètement, lundi 25 août, une visite à Mogadiscio en Somalie. Elle a été reçue par le président somalien Hassan Cheikh Mohamoud.
La délégation soudanaise a remis au président de la Somalie une lettre de la part du général Abdel Fattah al-Burhan, dirigeant de l’armée ainsi que du Conseil souverain soudanais. Ce développement exprime la volonté de deux parties de consolider leur coopération en matière de renseignement et en ce qui concerne les dossiers de la région.
Cette visite soudanaise à Mogadiscio revêt une très haute importance aux yeux des deux pays, non seulement en matière de renseignement, mais aussi au niveau diplomatique et stratégique. Elle intervient au moment où Khartoum est en passe de ramener la stabilité dans le pays. L’armée considère déjà que la page de la guerre est derrière elle. En conséquence, elle a besoin de se repositionner en Afrique orientale et de consolider ses alliances. Il s’agit notamment contrer Abu Dhabi tente de s’imposer sur l’échiquier comme force régionale.
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Les Émirats arabes unis, impliqués dans la guerre au Soudan aux côtés des paramilitaires, utilisent la base de Bosasso au Puntland, État semi-autonome de Somalie, pour acheminer les aides militaires et mercenaires aux forces de soutien rapide au Soudan. Ces aides transitent par la Libye du maréchal Haftar, autre allié des Émirats, parfois par le Tchad ou par d’autres pays.
La Somalie et le Soudan veulent plus de coopération sécuritaire
Faute de pouvoir stopper le ravitaillement des FSR via le Puntland, la Somalie et le Soudan misent sur plus de coopération sécuritaire. C’est suite à l’intensification de cette coopération qu’un avion émirien venant de Bosasso a été abattu dès son atterrissage à Nyala au Darfour du sud le 6 août dernier. À son bord, il y avait 40 mercenaires colombiens, qui, en plus de l’équipage, ont tous été tués.
Le Puntland, région semi-autonome du nord-est de la Somalie, s’est alliée à Abu Dhabi au grand dam de la capitale fédérale, Mogadiscio. L’armée soudanaise vante par ailleurs son expertise acquise dans les combats des villes contre les FSR et souhaite transmettre à la fois son savoir-faire à l’armée somalienne dans le but d’accroitre ses capacités opérationnelles, mais aussi pour aider la Somalie, victime d’attaques de la part de groupes terroristes, à retrouver la stabilité.
Une telle aide lui serait précieuse. Elle pourrait comprendre, à l’avenir, des formations dispensées à l’armée somalienne au fameux collège militaire de Khartoum. À plus long terme, les deux pays espèrent se mettre d’accord sur un cadre stratégique pour une sécurité commune.
Enfin, des cercles proches de l’armée soudanaise affirment qu’elle souhaite passer de la réaction à l’action afin de s’imposer comme un pays actif dans la région et apte à se défendre. D’une part en consolidant ses alliances et d’autre part en accédant à une nouvelle ère, marquée par l’équilibre des forces, avec l’idée que préserver sa sécurité nationale passera par l’amélioration de la sécurité régionale, également dans la Corne de l’Afrique.
Contrer Abu Dhabi dans la région
Moins de 24 heures après la visite de la délégation des renseignements soudanais à Mogadiscio, le cheikh Chakhbout Ben al-Nahyane, ministre d’État aux Affaires étrangères des Émirats arabes unis (et responsable officieux des renseignements), s’est rendu à son tour mardi dans la capitale fédérale somalienne. Le but annoncé de la visite était le renforcement de la coopération entre les deux pays, mais Abu Dhabi, avec ses pétrodollars, cherche à accroître son influence dans la Corne de l’Afrique et à préserver ses intérêts. Et la Somalie est au centre de son attention.
Cependant, Khartoum forme avec Mogadiscio, Le Caire, Doha et Ankara, un axe d’alliés réunis par leur opposition aux Émirats et à l’Éthiopie dans la région. La Turquie, qui a des ambitions propres pour la Corne de l’Afrique, voudrait y étendre son influence mais se heurte à celle des Émirats arabes unis. Ankara avait signé un accord avec le président déchu du Soudan, Omar el-Béchir, afin d’exploiter militairement le port de Suakin sur la mer Rouge.
Aussi la visite de la délégation des renseignements soudanais à Mogadiscio a-t-elle été encouragée par les alliés de Khartoum. Par ailleurs, le conseil des ministres somalien a entériné jeudi dernier un accord de coopération militaire avec le Qatar qui vise à renforcer les capacités des forces armées nationales somaliennes et à contrer Abu Dhabi. Le Qatar et Abu Dhabi s’opposent sur tous les dossiers arabes et africains depuis 2011.
Il y a un an, Mogadiscio a signé un autre accord de coopération militaire avec Le Caire qui lui a promis des dons en matériel militaire. Ensemble, ils contestent la présence militaire éthiopienne à Jubaland et cherchent indirectement à l’entraver. Le Caire participera également, dès ce 1er septembre, à la mission de l’Union africaine en Somalie (Aussom), ce qui déplait profondément à Addis-Abeba. La carte des forces régionales présentes dans la Corne de l’Afrique n’a de cesse d’être redessinée afin de remodeler la géostratégie de la région.