Afrique: Comment parvenir à la souveraineté sanitaire africaine

DOUALA — L’Afrique ne manque plus une occasion de signifier son ambition d’arriver à une souveraineté sanitaire qui se traduirait par la capacité du continent à produire localement l’essentiel des médicaments dont il a besoin pour la bonne santé de ses populations.
Cette question était d’ailleurs au coeur de la huitième édition du Forum Galien Afrique qui s’est tenue du 28 au 31 octobre 2025 à Dakar au Sénégal sous le thème : « Souveraineté sanitaire : un impératif pour l’Afrique ».
Dans le cadre de cette importante rencontre, SciDev.Net s’est entretenu avec Boniface Njenga qui occupe les fonctions de directeur adjoint en charge des systèmes de santé en Afrique à la Fondation Gates.
« Le financement extérieur et les partenariats techniques restent essentiels à l’heure actuelle, mais ils doivent être structurés de façon à accélérer, et non à remplacer, le développement des capacités nationales »Boniface Njenga, Fondation Gates
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Dans cet échange, il explique pourquoi la lutte contre les maladies tropicales négligées (MTN) est un passage obligé dans ce processus et souligne le rôle que peuvent jouer la coopération internationale et les partenaires extérieurs dans l’atteinte de cet ambitieux objectif.
Pourquoi la Fondation Gates considère-t-elle la lutte contre les maladies tropicales négligées comme cruciale pour l’atteinte de la souveraineté sanitaire de l’Afrique, alors que d’autres maladies (paludisme, tuberculose, diabète, maladies cardiovasculaires, Ebola, Mpox…) causent davantage de ravages sur le continent ?
Les maladies tropicales négligées, ou MTN, ne font pas toujours la une de l’actualité, mais elles touchent de manière disproportionnée les communautés les plus pauvres et marginalisées. Elles maintiennent des familles dans le cycle de la pauvreté et exercent une pression constante sur les systèmes de santé locaux. Lutter contre les MTN ne consiste donc pas uniquement à réduire la maladie, mais s’avère essentiel pour garantir des résultats de santé équitables et bâtir des systèmes de santé résilients à travers l’Afrique.
Nous travaillons avec les pays pour accélérer l’élimination et l’éradication des MTN en utilisant des outils éprouvés, une approche fondée sur les données et en renforçant les capacités locales. Prévenir, éliminer et, lorsque cela est possible, éradiquer ces maladies, est l’un des moyens les plus rentables d’améliorer la vie des populations, de libérer des capacités au sein des systèmes de santé et de faire progresser la couverture sanitaire universelle.
Au-delà de l’impact immédiat, investir dans les programmes de lutte contre les MTN permet de jeter les bases de systèmes de santé plus solides et mieux connectés. Ces efforts protègent non seulement les communautés vulnérables aujourd’hui, mais aident également les pays à construire l’infrastructure nécessaire à une résilience durable.
A travers notamment des agents de santé communautaires bien formés, des chaînes d’approvisionnement fiables et des systèmes de surveillance épidémiologique robustes. Lorsque les pays réduisent la charge des MTN, ils libèrent des ressources et des capacités pour s’attaquer à d’autres priorités sanitaires, du paludisme à la santé maternelle.
Une vingtaine de pays africains ont déjà atteint l’élimination d’au moins une maladie tropicale négligée. Parmi les exemples les plus récents, on peut citer l’élimination de la maladie du sommeil au Kenya et de l’onchocercose au Niger. Pouvez-vous nous expliquer concrètement comment ces deux pays ont accompli cet exploit ?
Les deux pays ont suivi des trajectoires similaires vers le succès : maintien de systèmes de surveillance solides, mobilisation des communautés, fort engagement des autorités nationales et mise en oeuvre régulière d’interventions éprouvées.
Concrètement, cela s’est traduit par un dépistage et un traitement actif pour interrompre la transmission de la trypanosomiase humaine africaine au Kenya, et par des campagnes de distribution massive de médicaments et de lutte antivectorielle contre l’onchocercose au Niger.
Les partenariats avec des parties prenantes telles que l’OMS, les programmes nationaux, les bailleurs de fonds, les agents de santé locaux et les organisations non gouvernementales de développement ont assuré un soutien technique et financier continu, permettant de maintenir l’élan jusqu’à l’atteinte des objectifs d’élimination.
Qu’est-ce que ces succès ont changé dans ces pays du point de vue de la sécurité sanitaire ?
L’impact de ces réussites dépasse largement ces deux exemples. L’élimination de ces MTN réduit le risque de résurgence, allège la charge qui pèse sur les services de santé, et démontre la capacité nationale à mener des campagnes de santé publique et des systèmes de surveillance sur le long terme. Ces compétences se traduisent directement par une meilleure préparation aux épidémies et un renforcement des services de santé de routine.
Peut-on honnêtement envisager une souveraineté sanitaire pour l’Afrique quand le continent continue de subir une fuite des cerveaux et de dépendre fortement du soutien financier, technique et humain d’organisations extérieures pour atteindre ses objectifs de santé ?
La souveraineté sanitaire est un objectif à long terme, qui ne peut être atteint du jour au lendemain. Le financement extérieur et les partenariats techniques restent essentiels à l’heure actuelle, mais ils doivent être structurés de façon à accélérer, et non à remplacer, le développement des capacités nationales.
Cela implique d’investir dans la formation et la rétention du personnel de santé, de renforcer les institutions et les systèmes d’information nationaux, d’améliorer le financement et les achats domestiques, et de garantir que les transitions soient planifiées et partagées.
À une époque où les budgets mondiaux de la santé sont sous pression et où l’aide publique au développement diminue, le besoin d’investissements efficaces, durables et pilotés par les pays n’a jamais été aussi grand.
En quoi les partenaires extérieurs peuvent-ils être utiles dans un tel processus ?
En tirant les enseignements des 25 ans d’action de la Fondation Gates par exemple, nous continuons à axer nos efforts sur la lutte contre la pauvreté, la maladie et les inégalités, avec une forte priorité donnée au soutien de solutions proposées par les Africains.
Concrètement, cela signifie renforcer les systèmes de soins de santé primaires, élargir l’accès aux vaccins vitaux, et autonomiser les femmes et les jeunes en tant qu’agents de changement au sein de leurs communautés. Cela signifie aussi aider les pays à exploiter l’innovation, de l’infrastructure publique numérique à la production locale, afin que les solutions conçues pour l’Afrique soient de plus en plus développées et détenues par les Africains eux-mêmes.
Quel bilan en matière de souveraineté sanitaire après donc ces années de collaboration ?
Des progrès vers la souveraineté sanitaire sont déjà visibles à travers le continent. Des pays comme le Sénégal, le Niger, le Kenya, le Togo, le Bénin, le Ghana et le Malawi ont éliminé au moins une maladie tropicale négligée, en menant des programmes nationaux, en investissant dans la surveillance et la distribution, et en collaborant avec des partenaires pour absorber et appliquer de nouvelles compétences techniques.
Ces succès montrent ce qui est possible lorsque le leadership local s’associe à une collaboration durable. L’étape suivante consiste à s’assurer que ces avancées sont protégées, étendues et reproduites dans d’autres domaines sanitaires grâce à des investissements nationaux et à une coordination continue.
Des projets d’usines de fabrication de vaccins sont en cours dans plusieurs pays africains, soutenus par l’Union africaine et réalisés avec l’aide de firmes étrangères. Dans quelle mesure les partenaires extérieurs peuvent-ils contribuer à garantir que le tant attendu transfert de technologie ait réellement lieu ?
Le rôle de la Fondation est de financer le renforcement des capacités et de soutenir des partenariats qui incluent des engagements mesurables en faveur de la production locale, de la formation de la main-d’oeuvre, du renforcement des capacités réglementaires et de la mise en place de modèles économiques durables.
Nous avons ainsi noué des partenariats avec des institutions telles que Biovac en Afrique du Sud pour élargir l’accès à la recherche et à la technologie de fabrication des vaccins à ARN messager, et avec Aspen Pharmacare et le Serum Institute of India afin de permettre la production locale de vaccins de routine en Afrique via le transfert de technologie.
Nous collaborons également avec les gouvernements nationaux, les fabricants, les autorités de régulation et les bailleurs de fonds pour coordonner les investissements et renforcer l’écosystème de santé dans son ensemble, notamment les chaînes d’approvisionnement et les systèmes réglementaires, afin que les sites de production puissent fabriquer des produits de santé adaptés aux besoins locaux, qu’il s’agisse de vaccins, de traitements ou de diagnostics.
En résumé, l’objectif est de passer d’une situation de dépendance à une capacité de production locale, conforme aux normes internationales, où l’Afrique n’est plus seulement bénéficiaire de vaccins et de produits de santé, mais devient également développeur, producteur et exportateur de technologies de santé vitales.
Qu’attendez-vous des autorités africaines pour que le continent tire le meilleur parti de ces partenariats dans la construction de sa souveraineté sanitaire ?
Les autorités africaines ont un rôle essentiel à jouer pour que les partenariats contribuent réellement à la souveraineté sanitaire du continent. Cela commence par un leadership fort et des priorités nationales claires qui orientent les relations avec les partenaires extérieurs, afin que chaque collaboration soutienne une vision de la santé et du développement définie localement.
Les gouvernements peuvent montrer l’exemple en investissant dans un financement prévisible de la santé, des systèmes réglementaires solides, ainsi que dans la formation et la rétention des personnels de santé qualifiés.
La coopération régionale est tout aussi importante. En harmonisant les normes, en mutualisant les achats et en partageant les capacités réglementaires via des institutions comme l’Agence africaine du médicament, les pays peuvent renforcer leur pouvoir de négociation et accélérer l’accès aux technologies de santé produites localement.
Enfin, un engagement politique durable, la transparence et la redevabilité seront déterminants pour la réussite. Lorsque les gouvernements africains coordonnent les partenariats autour de feuilles de route nationales, donnent les moyens aux chercheurs et innovateurs locaux, et suivent les progrès grâce à des systèmes de données solides, les investissements extérieurs deviennent des catalyseurs de capacités durables plutôt que de simples projets ponctuels.
De votre point de vue, quel est l’intérêt d’une rencontre comme le Forum Galien Afrique dans la construction de la souveraineté sanitaire africaine ?
Des rencontres comme le Forum Galien Afrique jouent un rôle de catalyseur essentiel pour faire avancer la souveraineté sanitaire sur le continent. Elles rassemblent décideurs, chercheurs, fabricants, bailleurs de fonds et régulateurs afin de partager des innovations, nouer des partenariats et mettre en avant des solutions locales capables de transformer la santé publique.
En créant une plateforme de dialogue entre la science, les politiques publiques et l’industrie, ces forums accélèrent la transformation de la recherche et de l’innovation en produits, politiques et programmes de santé concrets.
La véritable valeur de ces rencontres réside dans leur capacité à renforcer les réseaux dirigés par des Africains, à valoriser l’expertise régionale et à favoriser l’alignement des secteurs public et privé autour d’actions concrètes pour renforcer les capacités locales : de la recherche et la régulation à la production et la distribution.


