Accord migratoire Eswatini–États-Unis : une contestation qui révèle un malaise plus profond


Ce vendredi, des militants pro-démocratie d’Eswatini ont manifesté devant l’ambassade des Etats-Unis à Pretoria pour protester contre l’accord migratoire récemment conclu entre les Etats-Unis et leur pays.
La manifestation dépasse de loin la simple critique d’un accord migratoire. Elle met en lumière l’intersection de plusieurs enjeux : les tensions sociales dans le petit royaume, l’autoritarisme de la monarchie absolue, et les stratégies migratoires des États-Unis.
Un accord perçu comme une transaction inégale
Le partenariat signé entre Washington et Mbabane prévoit que l’Eswatini accueille des migrants expulsés des États-Unis, en échange d’un financement estimé à 500 millions de dollars. Dans ce cadre, le pays a d’ailleurs déjà accueilli cinq migrants originaires du Vietnam, du Laos, du Yémen, de Cuba et de la Jamaïque, présentés par l’administration américaine comme des « criminels en situation irrégulière ».
Sur le papier, il s’agit d’un mécanisme de coopération bilatérale destiné à soulager les États-Unis tout en apportant des ressources à l’économie swazie. Mais pour les contestataires, cet accord ressemble davantage à une « transaction » où la dignité du peuple est bradée. L’activiste Philile Khumalo rappelle un chiffre glaçant : l’Eswatini détient l’un des plus forts taux de suicide du continent. Dans ce contexte de pauvreté structurelle et de désespoir social, voir leur pays servir de « centre de rétention » pour migrants américains en échange d’une manne financière nourrit un sentiment d’abandon et de dépossession.
La monarchie absolue dans le viseur
Si les regards se tournent vers Washington, la colère vise surtout le roi Mswati III. À la tête du dernier régime monarchique absolu d’Afrique, il concentre pouvoir politique et richesses dans un pays où la majorité survit avec moins de deux dollars par jour.
Pour Sakhile Nxumalo, président du Swaziland Youth Congress, la logique est claire : l’argent de l’accord « ira directement dans les poches de la monarchie », finançant un mode de vie fastueux – symbolisé par les quinze épouses du roi – plutôt que des réformes structurelles au bénéfice des citoyens. En ce sens, la contestation migratoire devient le prolongement des revendications pro-démocratie qui secouent régulièrement le royaume.
Les États-Unis et la question migratoire en Afrique
Sur le plan géopolitique, cet accord illustre une tendance croissante : externaliser la gestion des flux migratoires vers des pays tiers, souvent fragiles politiquement. Après avoir négocié avec le Mexique ou certains États d’Amérique centrale, Washington semble vouloir répliquer le modèle en Afrique australe.
Mais un tel choix comporte des risques. En soutenant financièrement une monarchie contestée, les États-Unis apparaissent comme complices d’un système accusé de corruption et de répression. À court terme, ils obtiennent un partenaire pour gérer les expulsés. À long terme, ils pourraient se voir reprocher d’alimenter l’instabilité et d’ignorer les aspirations démocratiques d’une population en crise. Même si cela ne sera pas une première dans la politique étrangère des Etats-Unis.
Une contestation qui s’internationalise
Le choix de manifester à Pretoria n’est pas anodin. Les militants, souvent contraints de fuir la répression dans leur pays, cherchent à donner une résonance internationale à leur combat. Ils savent que l’opinion publique sud-africaine, très sensible aux questions de droits humains dans la région, peut relayer leur cause. Surtout que l’Afrique du Sud n’avait pas hésité à donner de la voix à l’arrivée des cinq migrants en terre d’Eswatini, il y a quelques semaines.
Cette mobilisation révèle un paradoxe : en voulant renforcer son contrôle migratoire, les États-Unis se retrouvent exposés à une critique qui dépasse la seule question des expulsés et qui touche directement leur image de promoteur de la démocratie.