Cote d'Ivoire: Présidentielle – De 1990 à 2020, retour sur les six précédentes élections

La Côte d’Ivoire élit son président le 25 octobre 2025, date du premier tour du scrutin. Retour sur les précédentes élections présidentielles ivoiriennes, depuis 1990 et l’instauration du multipartisme.
1990 : président depuis 30 ans, Félix Houphouët-Boigny reste le chef
Fin des années 1980. Le « Miracle ivoirien », cette forte croissance économique portée notamment par les exportations de cacao durant deux décennies, s’évanouit. La Côte d’Ivoire est, elle aussi, frappée de plein fouet par la conjoncture mondiale. En cause, également, une gouvernance locale défaillante.
Les bailleurs internationaux pressent le président Félix Houphouët-Boigny de prendre des mesures d’austérité. Il nomme alors Alassane Ouattara comme Premier ministre. C’est un économiste, il a été vice-gouverneur de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest de 1983 à 1984. Mais, les politiques de réduction du train de vie de l’État et des Ivoiriens ne font qu’accentuer la grogne populaire.
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Pendant trente ans, Félix-Houphouët Boigny dirige le pays, avec son parti unique, le PDCI-RDA (Parti démocratique de Côte d’Ivoire- Rassemblement démocratique africain), fondé en 1946. En 1990, il cède aux revendications populaires et instaure le multipartisme. Pour la première fois depuis l’indépendance, un candidat de l’opposition est admis à compétir à l’élection présidentielle du 28 octobre 1990. Il s’agit de Laurent Gbagbo. Historien de formation et leader syndicaliste, Laurent Gbagbo a créé clandestinement, en 1982, le Front populaire ivoirien (FPI) et s’est imposé comme l’opposant numéro 1 au « Vieux ».
Les résultats officiels sont néanmoins sans appel : plus de 81% des voix pour le sortant contre environ 18% pour son challenger. Ce dernier dénonce des bourrages d’urnes. Quand nos délégués ont eu le dessus et qu’ils ont pu ouvrir les urnes ou les fracasser, on a découvert que les urnes étaient remplies. J’ai donné à quelques journalistes qui étaient là l’exemple d’une urne qui contenait déjà, avant qu’on ne vote, 1464 bulletins d’Houphouët-Boigny et 7 bulletins de Laurent Gbagbo.
Présidentielle ivoirienne de 1990: Laurent Gbagbo dénonce des fraudes
Houphouët-Boigny, 85 ans, obtient un septième et dernier mandat. Victime d’un cancer, il meurt à son poste le 7 décembre 1993 à Yamoussoukro, la capitale politique.
Présidentielle ivoirienne de 1990: 48 heures après le premier tour, une victoire attendue de Félix Houphouët-Boigny et des polémiques
1995 : Henri Konan Bédié, un mandat écourté
Henri Konan Bédié, le président de l’Assemblée nationale, assure alors l’intérim. Ancien ambassadeur, il fait modifier, fin-1994, le code électoral. Ces modifications introduisent notamment, le concept « d’ivoirité » : pour être candidat, un prétendant doit désormais être en mesure de prouver qu’il est né en Côte d’Ivoire, de père et de mère ivoiriens, ne pas avoir une autre nationalité, et avoir résidé de manière continue dans le pays au cours des cinq années précédant le scrutin.
Cette réforme disqualifie un candidat : Alassane Ouattara, jusque-là directeur général adjoint au Fonds monétaire international (FMI) à Washington et que ses détracteurs accusent d’être d’origine burkinabè.
Présidentielle ivoirienne de 1995: retour sur une journée de vote sous surveillance
Le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara et du FPI de Laurent Gbagbo boycottent le scrutin. Conséquence : Henri Konan Bédié fait face à un seul autre adversaire, Francis Wodié, professeur de droit et ancien leader charismatique de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (la FEANF). À la clé pour Bédié, une très large victoire 96,16% à 3,84% mais une faible participation (56% environ). Un contexte socio-économique dégradé va toutefois précipiter sa chute, avant la fin de son mandat.
Étant donné que vous m’avez accordé votre confiance et que je deviens le président de tous les Ivoiriens, je vous demande de vous unir à moi, membres de l’opposition compris, pour poursuivre la grande oeuvre d’édification de la Nation.
Présidentielle ivoirienne de 1995: Henri Konan Bédié critique le «boycott actif» d’une partie de l’opposition et salue son concurrent Francis Wodié
Le 23 décembre 1999, une mutinerie éclate au sein de l’armée. Henri Konan Bédié suit cette crise de loin, en France. Il est renversé par le général Robert Gueï, qui prend le pouvoir.
2000 : Laurent Gbagbo président, après l’exil et la prison
Le général Robert Gueï assure vouloir mettre fin à la corruption dans son pays et n’avoir aucune ambition politique. Le général Gueï soumet une réforme de la Constitution à référendum. Une fois adoptée, cette Constitution fait entrer le pays dans une deuxième République.
Son article 35 entérine en outre le concept d’ivoirité, ce qui empêche une nouvelle fois Alassane Ouattara de briguer la magistrature suprême, quelques semaines plus tard. La candidature d’un Henri Konan Bédié est, quant à elle, retoquée par la Cour suprême, l’ex-chef de l’État n’ayant pas donné suffisamment de garanties médicales sur son « état complet de bien-être physique et mental ».
Présidentielle ivoirienne de 2000: une journée de vote à Abidjan
RFI Restent Laurent Gbagbo, Francis Wodié et deux autres candidats face au chef de la junte. Le 23 octobre, au lendemain du premier tour, les premiers résultats connus sont favorables à Laurent Gbagbo. Robert Gueï dissout alors la Commission électorale et se fait proclamer vainqueur par le ministère de l’Intérieur. Mais il est contraint à la fuite suite à des manifestations massives et au ralliement des forces de l’ordre à son adversaire.
Présidentielle ivoirienne de 2000 : incertitudes au lendemain du premier tour
RFI Après avoir été contraint à l’exil puis emprisonné, Laurent Gbagbo prend les commandes de la Côte d’Ivoire. Les résultats officiels le créditent de 59,36% des voix mais la participation se limite à un taux de 37%.
Le 19 septembre 2002, après des mois de tensions, une mutinerie vire à la tentative de coup d’État avant de se muer en rébellion. Le général Robert Gueï est tué à Abidjan, tout comme le ministre de l’Intérieur de l’époque, Emile Boga Doudou.
Cette rébellion, composée en grande partie d’éléments originaires du nord du pays, réclame le départ de Laurent Gbagbo du pouvoir et de nouvelles élections. Ce dernier accuse en retour Alassane Ouattara et le Burkina Faso voisin d’être à la manoeuvre pour le renverser. Il réclame, en vain, l’intervention de la France en vertu des accords de défense liant Abidjan et Paris.
Le 17 octobre, le chef de l’État se résout à signer un cessez-le-feu : le pays est alors coupé en deux entre une partie nord contrôlée par des rebelles et un sud toujours dans le giron des autorités.
Le 24 janvier 2003, pouvoir et rebelles paraphent un accord sous la pression de la France, à Marcoussis (en région parisienne). Celui-ci établit une feuille de route précise et prévoit également un gouvernement d’union nationale. Mais ses dispositions ne seront jamais véritablement appliquées.
L’entente n’est en effet que de façade : le 4 novembre 2004, les forces loyales au pouvoir lancent une offensive pour reprendre notamment le contrôle de Bouaké, dans le centre du pays. Pour des motifs toujours inconnus, une base de l’armée française est bombardée, provoquant la mort de 9 soldats et d’un humanitaire américain.
En réaction, les troupes françaises détruisent les moyens aériens ivoiriens. Colère de la population à Abidjan qui veut prendre d’assaut l’aéroport international ainsi qu’une base occupée par la France. Les militaires français s’interposent, tirant sur les manifestants pour les empêcher notamment de traverser un des deux ponts de la capitale économique. Bilan officiel, selon le ministère ivoirien de la Santé : 57 morts et près de 2 200 blessés.
Face à l’échec des accords de Marcoussis et de la Mission de l’ONU dans le pays (Onuci) en 2004, le président sud-africain Thabo Mbeki tente une médiation au nom de l’Union africaine. Les accords de Pretoria du 6 avril 2005 débouchent en particulier sur une concession du pouvoir : Alassane Ouattara pourra se présenter à la prochaine présidentielle.
Mais, au lieu de se tenir en octobre 2005, ce rendez-vous est repoussé six fois, la communauté internationale constatant à chaque fois l’incapacité du pays à être prêt.
Durant cinq années supplémentaires, celui qu’on surnomme le « boulanger d’Abidjan » pour sa capacité à rouler ses adversaires dans la farine prépare sa réélection. Le 29 mars 2007, après avoir pris les observateurs de court en négociant avec les rebelles, il signe l’accord de Ouagadougou et nomme Premier ministre leur chef, Guillaume Soro, Secrétaire général des Forces nouvelles.
2010- 2011 : Alassane Ouattara déclaré vainqueur à l’issue d’une crise sans précédent
Après plusieurs reports, l’élection présidentielle est fixée le 31 octobre 2010. Laurent Gbagbo arrive en tête du premier tour, avec 38% des voix contre 32% pour Ouattara et 25% pour Bédié. Mais l’alliance de ces deux opposants lui est défavorable. Les résultats de la Commission électorale indépendante (CEI) et certifiés par le représentant sur place de l’ONU donnent Alassane Ouattara en tête avec 54,10% des voix. Des résultats que contestent le camp de Laurent Gbagbo.
Le lendemain, ces résultats sont annulés par le Conseil constitutionnel, qui attribue 51% des voix à Laurent Gbagbo, suite à l’invalidation des résultats dans plusieurs circonscriptions du nord du pays. Chaque camp revendique la victoire et compose son gouvernement.
Mais le pays bascule dans un cycle de violences, notamment à Abidjan, mais aussi dans l’ouest du pays, où des conflits intercommunautaires éclatent. Après plusieurs semaines de combat, Laurent Gbagbo est arrêté le 11 avril 2011 par les forces fidèles à Alassane Ouattara.
L’arrestation de Laurent Gbagbo met fin à cette crise, qui a fait près de 3 000 morts.
Je suis donc le président élu de la République de Côte d’Ivoire. Je demande à toutes les institutions de la République, notamment les Forces armées de Côte d’Ivoire, la gendarmerie nationale, la police nationale et toutes les autres forces de sécurité, d’assurer leur mission républicaine de protection des personnes et des biens sur l’ensemble du territoire national et de préserver la paix et la sécurité.
Présidentielle ivoirienne de 2010 : Alassane Ouattara annonce sa victoire
2015 : Une réélection de Ouattara et de grands absents
Le 30 novembre 2011, Laurent Gbagbo est transféré à la prison de Scheveningen, aux Pays-Bas : la Cour pénale internationale (CPI) le poursuit notamment pour crimes contre l’Humanité durant la crise postélectorale de 2010-2011. Il est acquitté de manière définitive par la chambre d’appel de la CPI le 31 mars 2021. Il rentre en Côte d’Ivoire le 17 juin 2021.
En l’absence de Laurent Gbagbo, le pouvoir se retrouve face à une opposition affaiblie. Au sein du Front populaire ivoirien (FPI), l’ex-Premier ministre Pascal Affi N’Guessan veut s’imposer dans la perspective de 2015, ce qui n’est pas du goût des fidèles de l’ancien patron du FPI.
A l’élection présidentielle du 25 octobre 2015, Alassane Ouattara affronte neuf rivaux. Il devance largement Pascal Affi N’Guessan, 83,66% à 9,29%. La participation, elle, est en baisse par rapport à 2010, avec 52,86% contre plus de 80% cinq ans plus tôt.
Ce n’est pas du tout un échec, car nous aurions pu ne pas être présents à cette élection. Compte tenu du niveau d’affaiblissement dans lequel nous nous trouvions jusqu’en 2013, nous aurions pu être absents.
Présidentielle ivoirienne de 2015: l’ex-Premier ministre Pascal Affi N’Guessan, candidat du FPI, n’estime pas avoir échoué
Frédéric Garat 2020 : Le troisième mandat d’Alassane Ouattara sur fond de contestations
Le 5 mars 2020, Alassane Ouattara annonce qu’il n’est pas candidat. « J’ai décidé de transférer le pouvoir à une jeune génération », dit-il devant le Congrès, réuni à Yamoussoukro. Mais son dauphin désigné, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, s’éteint brutalement le 8 juillet 2020, quelques semaines avant la clôture du dépôt des candidatures. La veille de la fête nationale, Alassane Ouattara invoque donc un cas de force majeur, pour justifier sa candidature.
Malgré la pandémie de Covid-19, le premier tour est organisé le samedi 31 octobre. Le chef de l’État sortant est à nouveau sur la ligne de départ, avec trois autres concurrents : Henri Konan Bédié, Kouadio Konan Bertin et Pascal Affi N’Guessan. D’autres ont vu leur candidature rejetée, notamment Laurent Gbagbo.
Ce dernier a été radié de la liste électorale suite à une condamnation prononcée par la justice ivoirienne en janvier 2019, pour l’affaire dite du « Braquage de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest ». Même sort pour Guillaume Soro : l’ancien chef rebelle et Premier ministre, désormais en froid avec Alassane Ouattara, a été condamné par la justice ivoirienne à 20 ans de prison pour « recel de détournement de deniers publics » et « blanchiment de capitaux », en avril 2020.
Les semaines qui précèdent l’élection sont émaillées de violences. L’opposition appelle à la « désobéissance civile », pour contester un troisième mandat, brigué par le président sortant. Le jour du scrutin, près d’un cinquième des inscrits ne peuvent s’exprimer, car des milliers de bureaux de vote restent fermés. L’opposition boycotte largement les opérations. Le 3 novembre, la Commission électorale annonce la victoire du président sortant avec 95,31% des voix contre 2,01% pour Kouadio Konan Bertin, 1,68% pour Bédié et 1,01% pour Affi N’Guessan.
Ce dernier dénonce, au nom des « partis et groupements politiques de l’opposition », un « simulacre de présidentielle, dans un climat d’insécurité généralisé » et appelle à une « transition civile » afin d’organiser une « élection juste, transparente et inclusive ». Il est arrêté quelques jours plus tard pour des accusations d’attentats et de complot contre l’autorité de l’État notamment. Deux mois plus tard, Henri Konan Bédié annonce la fin de cette « transition » et appelle à un « dialogue national » avec le pouvoir. Les violences électorales entre août et novembre 2020 ont fait plusieurs dizaines de morts.