RDC : Washington et Doha, des « accords de papier » ? Analyse croisée entre Kamerhe, Mukwege et Prévot


L’accord de Washington (27 juin 2025) entre la RDC et le Rwanda, et la Déclaration de principes de Doha (19 juillet 2025) entre Kinshasa et le M23, avaient été salués comme des pas décisifs vers la paix dans l’est du Congo. Mais deux mois plus tard, les violences s’intensifient : massacres de civils, affrontements armés, extension du conflit vers le Sud-Kivu.
Trois voix se rejoignent aujourd’hui pour dresser le constat d’échec : Vital Kamerhe, président de l’Assemblée nationale congolaise ; Denis Mukwege, prix Nobel de la paix ; et Maxime Prévot, ministre belge des Affaires étrangères.
Kamerhe : un processus « inachevé » et trop limité
À l’occasion d’une visite en RDC, le chef de la diplomatie belge, Maxime Prévot, a été reçu par le président de l’Assemblée nationale congolaise. À cette occasion, Vital Kamerhe a admis sans détour que Washington et Doha n’ont pas apporté de résultats concrets : « Nous avons tous constaté que cela n’a pas changé grand-chose sur le terrain », a-t-il déclaré.
Pour le président de l’Assemblée nationale, la faiblesse de ces accords réside dans leur caractère partiel : ils engagent Kinshasa, Kigali et le M23, mais laissent de côté d’autres acteurs essentiels. Kamerhe plaide pour une démarche globale, incluant l’Union africaine, l’Union européenne et l’ONU.
Sa vision reste donc institutionnelle et diplomatique : multiplier les cadres de négociation afin d’élargir le cercle des garants et d’accroître la pression sur Kigali.
Mukwege : « illusions » et accords de façade
De son côté, Denis Mukwege adopte une posture beaucoup plus radicale. Pour lui, les cessez-le-feu de Washington et Doha n’étaient que des « illusions », destinées à endormir la vigilance internationale. « Tant que les cessez-le-feu ne seront pas assortis de mécanismes contraignants et de garanties effectives, ils resteront des accords de papier », martèle-t-il.
L’homme de Bukavu, dont la réaction remonte à quelques jours, met en garde contre un « projet d’extermination » et de « balkanisation » du pays. Là où Kamerhe appelle à renforcer la diplomatie, Mukwege doute de sa pertinence en l’absence de moyens de coercition réels. Sa lecture est morale et existentielle : il voit dans l’échec des accords une menace pour la survie même de la RDC.
Prévot : l’Europe ne doit pas se désengager
La position du chef de la diplomatie belge, Maxime Prévot, complète ce tableau. À Kinshasa, il a dénoncé le « grand décalage » entre les intentions couchées sur papier et la réalité du terrain. « Le mois qui s’est écoulé depuis la signature est probablement l’un des plus meurtriers depuis longtemps », a-t-il regretté.
S’il salue les efforts de Washington et Doha, Maxime Prévot critique l’oubli européen. Selon lui, l’Union européenne a cessé d’accorder la priorité la crise congolaise, laissant la main aux États-Unis et au Qatar. Or, dit-il, l’Europe doit rester mobilisée, non seulement sur le plan politique mais aussi humanitaire. « Je suis chagriné que depuis les mesures édictées en février et mars derniers au niveau européen, la question du conflit dans l’Est du Congo n’anime plus guère nos débats. Je pense que c’est quelque chose que nous devons rectifier, le fait que Doha et Washington soient dans un processus qui implique le gouvernement congolais, les autorités rwandaises, le M23 ne doit pas exonérer les Européens de continuer de se mobiliser pour la crise humanitaire, indépendamment de la question politique mais à côté de celle-ci la crise humanitaire qui sévit à l’est du Congo », a-t-il souligné.
Sa lecture est donc stratégique et internationale : pour éviter que le conflit ne sombre dans l’indifférence, Bruxelles veut remettre la RDC à l’agenda européen, et pousser à une approche concertée.
Trois lectures, un même constat
Ces trois prises de position convergent sur un point : l’inefficacité des accords de Washington et de Doha.
- Kamerhe y voit un processus incomplet, qui doit s’élargir à d’autres acteurs.
- Mukwege y voit des accords de façade, déconnectés de la réalité des atrocités.
- Prévot y voit un décalage stratégique, aggravé par le désengagement européen.
Leurs différences tiennent à leur posture :
- Kamerhe, acteur politique, appelle à renforcer le jeu diplomatique.
- Mukwege, voix morale, alerte sur le risque d’effondrement de l’État.
- Prévot, diplomate européen, plaide pour un retour de l’UE dans l’équation.
Une impasse qui s’aggrave malgré tout
Pendant ce temps, les massacres continuent. Le 20 août, Human Rights Watch a révélé l’exécution de plus de 140 civils par le M23 en juillet, pendant que l’ONU dénombrait déjà 319 morts entre le 9 et le 21 juillet. Chaque jour de blocage diplomatique se paie en vies humaines, renforçant l’idée que la paix ne pourra venir d’accords bilatéraux fragiles, mais d’un engagement collectif, ferme et contraignant.
L’Union africaine, pour sa part, a réaffirmé, mercredi, sa disposition à accompagner la finalisation et la mise en œuvre de l’accord entre la RDC et le Rwanda à Washington. « L’UA prépare la mise en place d’un secrétariat à Addis-Abeba pour piloter ce processus, comme décidé lors de la dernière réunion des chefs d’État des Communautés de l’est et du sud de l’Afrique (SADC-EAC) » a annoncé Mahamoud Ali Youssouf, le président de la Commission de l’Union africaine depuis Yokohama où il a rencontré la Première ministre congolaise.