Pour l'artiste sénégalaise Senny Camara, la kora est une sorte de thérapie

L’invitée culture de ce 18 août est une artiste sénégalaise à la fois musicienne virtuose et chanteuse aux textes engagés, Senny Camara. Son instrument de prédilection : la kora, instrument traditionnel africain. Elle est d’ailleurs l’une des rares femmes à en jouer, car il est généralement réservé aux hommes si l’on se réfère à la tradition.
RFI : Vous êtes l’une des rares femmes à jouer de la kora. Mais vous êtes venue tardivement à cet instrument. Avez-vous été freinée dans votre élan à une époque ?
Senny Camara : « Freinée », c’est vraiment le mot. On m’a dit que c’est interdit, que c’était sacré, que la femme ne devait pas en jouer. On ne m’a jamais vraiment expliqué pourquoi c’était interdit. Comme je n’ai pas eu ma réponse, je suis allée prendre la kora et assumer. Je suis allée en jouer, tout simplement. Je ne suis pas allée chez un maître parce que j’avais peur d’aller chez un maître, mais au conservatoire, car là-bas, il n’y avait pas d’interdit. Tout le monde pouvait jouer de n’importe quel instrument.
On a l’impression que de plus en plus de femmes commencent à se mettre à la kora. Est-ce votre impression aussi ?
Il y en a de plus en plus. Il y a beaucoup de femmes qui en jouent désormais. C’est un instrument qui est très accessible à tout le monde parce que c’est un instrument. On touche une corde, cela nous touche. Je ne veux pas dire que c’est un instrument de femme, mais uniquement parler de la beauté de cet instrument. Entendre cette beauté, pour moi, c’est la place de l’instrument. Et sa place est aussi chez la femme.
Sur ce disque, l’une des chansons parle du sort des tirailleurs sénégalais, ces hommes qui ont combattu pour la France. Vous vous sentez très concernée par leur histoire ?
Cela me concerne directement parce que mon grand-père fait partie des tirailleurs, des plus jeunes tirailleurs sénégalais. Les tirailleurs sénégalais n’étaient pas que des Sénégalais, d’ailleurs. Ils sont venus combattre sans demander leur dû. Pas de reconnaissance, ni un pardon. Il faut que l’on en parle. Il ne faut pas qu’on les oublie.
Que raconte justement cette chanson ?
Cela raconte que nos guerriers sont partis mener une guerre qu’ils ne connaissaient pas. Ils ne savaient pas où ils allaient, ils ne connaissaient pas le terrain. Ils sont partis. Certains y sont restés, d’autres sont revenus. Je parle de l’histoire que mon grand-père m’a raconté, tout simplement.
Votre voix et votre kora se marient de manière très naturelle avec le blues et le jazz. Ce sont des styles qui vous ont beaucoup influencé ?
J’adore le blues, le folk, le jazz. J’ai beaucoup écouté les Ladies of Jazz des années 1930. Je mélange cela à ma musique. Le blues, c’est pleurer, se révolter, dire ce que personne ne veut entendre.
Senny Camara est actuellement en tournée en Europe avec les titres de son premier album Yéné, paru il y a quelques mois. En concert le 16 août à Polva en Estonie, elle sera aussi le 18 à Vilnius en Lituanie, le 19 à Riga en Lettonie, puis de retour en France en septembre pour une série de nouvelles dates.
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