En Libye, des élections pleines d’espoir mais freinées par les divisions


La Libye tente d’avancer sur la voie démocratique à travers des élections municipales partielles. Si la participation dans certaines régions traduit une volonté populaire de changement, de nombreuses zones du pays restent paralysées par des tensions politiques et des ingérences locales. Entre sabotages, reports et obstacles administratifs, le processus électoral reflète autant l’aspiration citoyenne à la stabilité que les profondes fractures institutionnelles qui freinent toute normalisation durable du pays.
La Libye, en quête de stabilité après des années de conflit et de division, a lancé une nouvelle phase de son processus électoral local. Ces élections municipales, bien que saluées pour leur taux de participation élevé dans certaines régions, ont été profondément entachées par des incidents sécuritaires, des blocages administratifs et une absence de coordination entre les différentes autorités du pays.
Un engouement citoyen malgré les obstacles
Dans les municipalités où les élections ont pu se tenir, la mobilisation a été significative. La Haute Commission nationale électorale libyenne (HNEC) a annoncé un taux de participation de 71%, soit près de 162 000 votants, un chiffre perçu comme encourageant dans un pays marqué par une profonde instabilité politique. Pour de nombreux Libyens, ces élections locales incarnent l’espoir de prendre part à la gestion de leur quotidien dans un contexte où les grandes institutions nationales demeurent inefficaces, voire paralysées.
Les témoignages recueillis dans l’ouest du pays reflètent cette soif de changement. Les électeurs, souvent jeunes, saluent l’opportunité de faire entendre leur voix et plaident pour la régularité de telles consultations afin de consolider une culture démocratique encore balbutiante. Cette participation volontaire, dans un climat parfois hostile, envoie un signal fort quant à la volonté d’une grande partie de la population de tourner la page des divisions armées et des gouvernements parallèles.
Des incidents graves et des scrutins suspendus
Mais cette volonté populaire s’est heurtée à une réalité chaotique. Sur les 63 municipalités initialement prévues dans cette phase électorale, seules 26 ont effectivement organisé un scrutin. Dans les autres, en particulier dans l’est et le sud du pays, des reports et des annulations massives ont été décidés. En cause : des directives contraires émises par les autorités locales, notamment celles de l’est, fidèles au maréchal Khalifa Haftar.
La HNEC a dénoncé une série de sabotages administratifs : refus d’ouvrir les bureaux de vote, blocages dans la distribution des cartes électorales, voire actes criminels visant directement les infrastructures électorales. À Zliten et à Zawiya, deux localités proches de Tripoli, des attaques ont visé les locaux de la commission et détruit du matériel électoral, contraignant les autorités à suspendre le processus. Ces événements ont soulevé l’inquiétude de la communauté internationale et de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), qui y voit une atteinte directe aux droits civiques des Libyens.
Une Libye toujours fragmentée
Au cœur de ces tensions se trouve l’un des problèmes structurels les plus graves de la Libye contemporaine : l’absence d’un pouvoir central reconnu et stable. Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, le pays est divisé entre deux grandes entités rivales. À l’ouest, le gouvernement d’unité nationale dirigé par Abdelhamid Dbeibah, soutenu par l’ONU et basé à Tripoli. À l’est, une administration parallèle dominée par le maréchal Haftar, qui continue de s’opposer frontalement à toute initiative venue de l’ouest.
Cette division s’est traduite de manière concrète dans le processus électoral. Aucune élection n’a été organisée dans les zones contrôlées par l’administration de l’est, malgré la présence d’électeurs et de candidats inscrits. Ce refus de participer au processus est vu par la MANUL comme une négation des droits démocratiques des habitants de ces régions, accentuant encore un peu plus la fracture politique nationale.
L’enjeu de la gouvernance locale
Au-delà des chiffres et des incidents, ces élections municipales avaient pour objectif de renforcer la gouvernance locale dans un pays encore largement marqué par l’absence de structures administratives fiables. L’espoir porté par ces scrutins était de réinstaurer un lien de confiance entre les citoyens et les institutions, à une échelle plus proche du terrain. Dans les villes où le vote a eu lieu, cette dynamique semble amorcée. Mais elle reste fragile.
Le soutien affiché par l’ONU et les appels à la poursuite du processus électoral démontrent que la communauté internationale croit toujours à une sortie de crise par le biais d’une démocratisation progressive, commençant par le niveau local. Les élections municipales en Libye révèlent une réalité contrastée : d’un côté, une population désireuse de s’impliquer dans les affaires publiques, de l’autre, un système institutionnel éclaté et souvent hostile à toute tentative de réforme.