Une campagne de sensibilisation et de consultation publique s’ouvre ce samedi 19 juillet au Liberia, pour préparer l’ouverture d’un tribunal hybride chargé de juger les crimes commis durant la guerre civile. Un processus historique et qui doit aboutir d’ici deux ans.
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Une première cour chargée des crimes économiques commis pendant la guerre civile doit commencer à fonctionner dès l’année prochaine au Liberia, avant l’ouverture d’une cour chargée des crimes de guerre en 2027. « Ce processus appartient entièrement aux Libériens et ce sont eux qui vont le conduire », souligne Jallah Barbu, le directeur exécutif du Bureau chargé de mener à bien l’ouverture de ce tribunal. Pour la première fois, des responsables de crimes de guerre pourraient être jugés sur le territoire libérien et non plus à l’international.
Après des années d’attente et les promesses répétées de chaque président, l’actuel dirigeant du Liberia, Joseph Boakai, a établi en mai 2024 le Bureau préparatoire chargé de poser les fondements de ce tribunal. Son travail s’appuie sur une feuille de route directement inspirée des recommandations émises dès 2009 par la Commission Vérité et réconciliation.
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Un tribunal hybride au Liberia
« Le but de la campagne qui s’ouvre ce samedi, c’est de préparer les parties prenantes, et s’assurer de leur participation pleine et entière. Nous parlons des victimes, de ceux qui ont commis des crimes et de toute la population ! Ce sont ces gens-là qui vont être appelés à témoigner. Nous devons notamment leur assurer qu’ils seront protégés et que justice sera faite », développe Jallah Barbu, qui promet de quadriller le territoire du Liberia pour informer la population. Son Bureau a également pour mission de former les enquêteurs et le personnel de justice, mais aussi trouver des locaux et mobiliser des financements nécessaires pour que le tribunal hybride soit pleinement fonctionnel d’ici deux ans.
La tâche est ardue, mais le défenseur des droits humains Maxson Kpakio veut se montrer « optimiste » face à ces avancées. « Nous espérons qu’il n’y aura plus d’impunité dans ce pays, et que ceux qui nous ont amené la guerre seront punis », résume-t-il. Plusieurs chefs de guerre ont été jugés et condamnés à l’étranger depuis la fin de la guerre civile au Liberia : l’ancien rebelle et président Charles Taylor a été condamné en 2012 puis en 2013 à 50 ans d’emprisonnement par la Cour spéciale pour la Sierra Leone, aux Pays-Bas, et l’ex-commandant rebelle Kunti Kamara a été condamné à Paris, en appel, à 30 ans de réclusion en 2024.
Après plus de 20 ans d’un blocage parfois entretenu par d’anciens acteurs du conflit au Liberia, le lancement de la feuille de route constitue une avancée majeure, et la perspective de conduire des procès « sur le sol libérien » est un symbole important, selon Maxson Kpakio. Il s’agira aussi de mettre en évidence les faits de corruption qui ont alimenté cette sanglante guerre civile. « En parallèle des crimes contre l’humanité, il y a eu aussi le pillage organisé des ressources naturelles de notre pays, pour acheter des armes et des munitions, détaille Jallah Barbu. Cela s’apparente à des crimes de guerre. Cela entrera dans le mandat de cette juridiction, qui se penchera sur une période courant de 1979 à 2003, quand la guerre civile a pris fin. »
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Aller à l’essentiel
Le lancement de la campagne ce 19 juillet 2025 est une étape cruciale pour le directeur exécutif du Bureau préparatoire, qui espère insuffler une dynamique positive, alors que les financements promis n’ont toujours pas été débloqués. Les 2 millions de dollars annuels, alloués au fonctionnement du bureau préparatoire par le gouvernement, n’ont pas encore été décaissés à ce jour. Pour assurer le financement de ses activités, la structure n’a pu compter que sur une allocation de 368 000 dollars, versée en 2024. De plus, Jallah Barbu et de ses équipes n’ont pas reçu de salaire depuis le début de l’année.
« Pour obtenir des financements de potentiels partenaires, il faut que le gouvernement soit impliqué, qu’il soutienne ce processus, qu’il l’encourage. Pour l’instant, ce n’est pas vraiment le cas », regrette-t-il. Les ambitions du bureau – qui souhaite par exemple organiser des visites d’échanges dans d’autres pays, pourraient être revues à la baisse vu les ressources limitées.
Pour Alain Werner, le directeur de l’ONG Civitas Maxima, « il ne faut pas envisager un scénario pharaonique » mais plutôt déterminer « une stratégie sur le type de poursuites qui seront engagées et les contours du mécanisme ». Pour que les affaires portées devant le futur tribunal soient représentatives, il faudra notamment que les personnes poursuivies soient « issues de groupes armés différents, que les victimes des différents groupes ethniques soient entendues », selon lui. D’autant que près de vingt ans après la guerre civile au Liberia, nombre de ces témoins ont déjà disparus.
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