Gambie : une fillette meurt, la République regarde ailleurs


Une fillette d’à peine un mois est morte à Wellingara, exsangue, victime d’une pratique barbare que la loi gambienne interdit depuis 2015. Cette mort, aussi tragique que révoltante, aurait pu être évitée. Mais elle ne l’a pas été. Pourquoi ? Parce que derrière les mots, les engagements, les lois, il n’y a pas, ou si peu, d’actions. Parce que l’inaction des autorités gambiennes permet encore aujourd’hui que des bébés soient mutilés, parfois jusqu’à la mort, dans un silence complice.
L’excision tue. Elle traumatise, mutile, détruit. Elle n’a aucun fondement médical, aucun appui religieux clair, mais elle continue. Pourquoi ? Parce qu’elle est tolérée. Parce qu’elle est protégée par une partie de l’élite politique et religieuse qui, au nom de la tradition ou d’une interprétation dévoyée de la foi, défend l’indéfendable. Parce qu’en Gambie, même illégale, l’excision reste largement pratiquée, touchant près de trois femmes sur quatre, selon l’UNICEF.
Une question de droits humains fondamentaux
Les chiffres sont là. Les rapports sont nombreux. Les alertes se multiplient. Et pourtant, il a fallu attendre huit ans pour voir une première condamnation. Une seule. En août 2023. Un cas isolé dans un océan d’impunité. Ce n’est pas la loi qui manque, c’est la volonté de l’appliquer. Le plus préoccupant, c’est que la Gambie ne marche pas seulement à reculons, elle flirte avec l’abîme. Un député, soutenu par des associations religieuses, a osé proposer la dépénalisation de l’excision, affirmant que la loi de 2015 viole des droits culturels et religieux.
Une proposition honteuse, rejetée, heureusement, par le Parlement, en juillet 2024, mais qui montre à quel point le socle des droits humains reste fragile dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Ce débat n’est pas culturel. Ce débat n’est pas religieux. Ce débat est une question de droits humains fondamentaux. C’est une question de vie ou de mort. Aucune coutume ne peut justifier qu’on mutile des fillettes. Aucune tradition ne doit primer sur la santé, la dignité, la liberté du corps.
Oser dire que l’excision est une violence
La mort de cette fillette n’est pas un accident. C’est le symbole glaçant d’un État défaillant, qui légifère mais n’agit pas, qui promet mais ne protège pas, qui condamne dans les discours mais reste silencieux devant les cercueils. Les autorités gambiennes doivent comprendre qu’interdire l’excision sur le papier ne suffit pas. Il faut des actions : des poursuites systématiques, des peines exemplaires, une protection réelle des enfants, et surtout, une éducation massive des communautés. Quitte à aller dans les villages, former les imams, les chefs traditionnels, les mères, les pères, les jeunes.
Il est aujourd’hui question de briser le tabou. Il faut parler. Il faut oser dire que l’excision est une violence. Une violence de genre. Une torture. Le rejet du projet de loi visant à légaliser de nouveau l’excision est une victoire, certes. Mais c’est une victoire défensive. Une victoire de justesse. Ce ne sera jamais suffisant tant que des bébés pourront mourir dans l’indifférence. Tant que des bourreaux pourront agir sans être inquiétés. Tant que l’excision sera perçue comme un « rite » au lieu d’un crime. Chaque jour sans action est un jour où une autre fille est mutilée. Peut-être en silence. Peut-être en secret. Peut-être à jamais.