RDC : Patrick Muyaya visé par de nouvelles accusations dans l’affaire Gisèle Busima

Gisèle Busima

L’affaire Gisèle Busima, opposant la femme d’affaires congolaise au ministre de la Communication Patrick Muyaya, connaît un nouveau rebondissement. La convocation du père et du frère de la plaignante relance la polémique et ravive les accusations de harcèlement judiciaire.

À Kinshasa, l’affaire Gisèle Nebale Busima, femme d’affaires congolaise et citoyenne américaine, continue de faire des vagues. Près d’un an après avoir accusé le ministre de la Communication, Patrick Muyaya, de l’avoir fait séquestrer durant 45 jours, le dossier prend une nouvelle tournure. Et ce, alors que l’intéressé vient d’être reconduit à son poste par le président Félix Tshisekedi.

La convocation qui ravive l’affaire

Le 23 juillet, le père et le frère de Gisèle Busima reçoivent une convocation émanant du parquet de la Gombe. Motif : « être entendus » sur des faits qui ne sont pas précisés dans le document officiel, signé par la Brigade judiciaire. Lorsque son frère, Martin Busima, s’est présenté au parquet, il lui a été notifié que Patrick Muyaya avait déposé une plainte en diffamation contre lui et leur père.

Pour les soutiens de la femme d’affaires, il ne s’agit pas d’un simple acte de procédure. « C’est une manœuvre d’intimidation claire, qui vise à la pousser à retirer ses plaintes », tranche Me René St-Fort, son avocat, alors que «c’est lui qui m’a fait enlever, séquestrer, différer et menacer», fustige Gisèle Bisuma.

Dans un communiqué publié le 29 juillet, il accuse « une nouvelle fois » le ministre « d’intimider Mme Gisèle Nabele en convoquant au Parquet de la Gombe messieurs Bisuma et Martin Bisuma, respectivement le père et le frère de cette dernière », estimant qu’il s’agit d’« une violation flagrante de ses droits fondamentaux ».

La plaignante accuse le ministre de la Communication, le général Christian Ndaywel et le colonel Ralph Muzimba d’avoir orchestré son kidnapping le 30 septembre 2024 et de l’avoir retenue pendant plus de six semaines à l’hôtel Castello — un établissement saisi par les services de renseignement congolais — jusqu’à sa libération. L’avocat évoque une « séquestration » avec « détention pendant 45 jours sans contact avec le monde extérieur, sans le droit à l’avocat, sans audience aucune, et sans comparaitre devant un juge, avec promesse chaque jour qu’elle serait libérée, jusqu’à tomber gravement malade sans soins véritables ».

De l’alliance à la rupture

Entre 2017 et 2021, Gisèle Busima affirme avoir entretenu une relation à la fois personnelle et professionnelle avec Patrick Muyaya. Elle assure avoir financé sa campagne législative de 2018, espérant en retour des opportunités économiques dans le secteur public.

Mais la relation se détériore. Selon son récit, elle est progressivement écartée de projets et voit s’intensifier les tensions. L’ancienne banquière se lance alors dans de nouveaux projets dans l’agro-industrie, avant, dit-elle, d’être ciblée par une surveillance numérique.

Dans ses déclarations, l’ancienne banquière affirme avoir été ciblée par une surveillance numérique invasive, via le logiciel espion Pegasus. Elle accuse des équipes de hackers recrutées au Nigeria et au Kenya par Patrick Muyaya d’avoir pris le contrôle de son téléphone, usurpé son identité et extorqué de l’argent à ses proches.

Pour ses soutiens, l’opération avait un double objectif : l’affaiblir économiquement et la discréditer auprès de ses partenaires d’affaires. « C’est une machine bien huilée, où les leviers de l’État servent à régler des comptes privés », commente un militant congolais des droits humains.

Un soutien international qui s’affiche

Depuis sa libération, fin novembre 2024, Gisèle Busima a engagé une bataille judiciaire sur plusieurs fronts. Elle a déposé plainte à Bruxelles et envisage un recours devant les instances onusiennes. Aux États-Unis, où elle réside désormais partiellement, elle dit bénéficier du soutien de la Fondation Clinton et d’ONG spécialisées dans la défense des droits humains, notamment Amnesty International.

Le Département d’État américain suivrait également l’affaire, selon ses proches. « Des organisations internationales de par le monde, voire des instances gouvernementales à l’instar du Département d’État américain, sont outragées devant le constat de tentatives voulant fouler au sol tous les droits fondamentaux de Mme Gisèle Nabele Busima et exigent des réponses claires », peut-on lire dans le communiqué de Me St-Fort.

Pour eux, l’enjeu dépasse le cas personnel. « Si une citoyenne américano-congolaise peut être arrêtée, détenue sans mandat et voir sa famille convoquée sans motif clair, que reste-t-il des garanties de l’État de droit ? », interroge un avocat congolais.

L’avocat du ministre visé

Dernier développement : un militant des droits humains a déposé une plainte auprès du barreau contre Me Lokeka Armand, avocat de Patrick Muyaya, l’accusant d’intimidation et de menaces.

Mme Busima n’est pas partie à cette procédure. Elle dénonce toutefois l’intervention de lobbyistes « par personne interposée » cherchant à la convaincre d’abandonner ses démarches. « Ils veulent retarder ou neutraliser la vérité, mais je n’ai pas peur », affirme-t-elle.

Reconduction controversée

La reconduction de Patrick Muyaya au ministère de la Communication par Félix Tshisekedi est perçue par ses soutiens comme « un signal inquiétant sur la volonté des autorités de traiter ce dossier avec impartialité ». Ce maintien en fonction, malgré l’ampleur des accusations, est vu par les proches de Mme Busima comme la preuve d’une volonté politique de protéger un ministre jugé stratégique pour la communication présidentielle, y compris au prix d’un signal négatif envoyé à l’opinion publique et aux partenaires internationaux. La nomination est également perçue comme un message adressé aux victimes de violations des droits humains : elles risquent d’être réduites au silence et opprimées, des années après leur libération, dans une RDC qui figure toujours aujourd’hui sur la liste américaine des destinations de voyage à éviter (niveau 4, “Do Not Travel”).

Jusqu’ici, Patrick Muyaya et ses co-accusés n’ont pas réagi publiquement aux accusations. Le ministère de la Communication n’a pas répondu aux sollicitations de la presse. Selon les proches de Mme Busima, dès sa libération, le ministre et son cabinet auraient mobilisé une cinquantaine de journalistes pour mener une campagne de dénigrement à son encontre, afin de ternir son image et de détourner l’attention sur son absence au moment où ses proches la recherchaient activement. Cette stratégie de communication, ajoutée au silence officiel, alimente les critiques, y compris dans certains cercles proches du pouvoir, où l’on s’inquiète des conséquences de cette affaire sur l’image du gouvernement.

Un bras de fer aux implications politiques

Au-delà des accusations, cette affaire met en lumière un enjeu plus large : celui de l’usage des institutions sécuritaires et judiciaires dans des litiges où se mêlent affaires privées et rivalités politiques. Des ONG locales mettent en garde contre un précédent qui pourrait décourager les victimes de porter plainte contre des personnalités de haut rang.

Pour Gisèle Busima, le combat est désormais autant juridique que symbolique : « Ils peuvent convoquer toute ma famille, je ne céderai pas. Ce combat dépasse ma personne. » Me St-Fort insiste sur la même ligne : « Elle ne cédera pas » et appelle « le Gouvernement congolais à intervenir dans cette affaire et à recadrer le ministre Patrick Muyaya en lui demandant de mettre fin à sa campagne d’intimidation. »

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