Ile Maurice: La leçon Kim

Elle a levé les bras trop tôt, dit-on. Elle a failli être rattrapée, dit-on. Mais ce jour-là, dans l’étroitesse d’un sprint final, ce n’est pas seulement Kimberley Le Court-Pienaar qui franchissait la ligne : c’est tout un pays, dressé sur ses pédales, qui reprenait son souffle, retrouvait sa fierté. Le 30 juillet 2025, à Guéret, la petite Mauricienne au sourire d’enfant et au mental d’acier inscrivait son nom — et celui de Maurice — au sommet du cyclisme féminin mondial. Pour la seconde fois en une semaine, elle enfilait le maillot jaune. Pas une surprise : une consécration.

À 29 ans, Kim entre dans la légende par une porte que personne ne lui a ouverte. Pas de filière dorée. Pas de mécène tapageur. Elle a écrit ses propres e-mails aux équipes professionnelles. Elle a quitté la route. Puis y est revenue. C’est peut-être là son plus bel exploit : revenir. D’un coma infantile causé par une crise de paludisme. D’un doute existentiel. Du vide. Elle s’est relevée, a pédalé un matin dans les couloirs d’un hôpital. Et n’a plus jamais mis pied à terre.

Il y a chez elle une vérité rare. Pas de façade, pas de faux-semblant. Kim parle peu. Mais juste. Quand elle monte sur le podium, ce n’est pas pour récolter des fleurs : c’est pour offrir à Maurice un souffle, un sursaut, une image debout. Dans un monde qui ploie sous les crises, elle incarne une forme d’espoir.

Née à Curepipe, élevée entre cocotiers et vélo d’enfant, elle suit son frère Olivier jusqu’à l’Europe et aux routes âpres du cyclisme professionnel. Sans spot, sans sponsor, elle affronte les meilleures : Vollering, Vos, Ferrand-Prévot. Elle a couru Liège-Bastogne-Liège, gagné le Giro, porté le jaune. Et aujourd’hui, c’est la France — et bien au-delà — qui prononce son nom

Mais ce que Kim éveille dépasse les médailles. Elle ravive un sentiment en voie d’extinction : la fierté d’être Mauricien.

Or, Maurice est à bout de souffle. Le coût de la vie étrangle bien des familles. La roupie s’effondre. L’accès aux devises devient un calvaire pendant que les élites importent des voitures de luxe en série. Une bonne partie de la jeunesse doute. Elle ne croit plus aux partis, ni aux promesses. Et puis, il y a Kim.

Pas une militante. Pas une élue. Une athlète. Une fille du peuple. Une survivante. Une source d’inspiration.

En août 2024, elle remportait le Giro. En juillet 2025, elle dompte les Alpes françaises, seule, en jaune. À une jeunesse déboussolée, elle adresse un message limpide : on peut naître sur une île oubliée et rivaliser avec les meilleures du monde. À une société tentée par le cynisme, elle oppose le courage, la rigueur, la discipline.

Et si nous la méritions, cette fierté ? Pas parce qu’elle est facile, mais parce qu’elle est dure. Kim ne demande rien. Ni rente, ni poste honorifique, ni décoration de pacotille. Elle ne sollicite pas l’État. Elle avance, trace, inspire. Elle incarne l’excellence silencieuse.

À ceux qui attendent tout du gouvernement, on peut répondre, sans discours inspiré de JFK :«Demandez-vous non ce que le pays peut faire pour vous, mais ce que Kim a fait pour le pays.» Elle nous rend le goût de l’effort. Le goût du mérite sans slogan. De la grandeur sans calcul.

Oui, elle a levé les bras trop tôt. Et alors ? Même ça, elle le fait avec panache. Avec cette innocence superbe qui ridiculise les commentateurs blasés et les techniciens crispés. Elle a levé les bras comme on lève un drapeau. Pas pour elle seule. Pour nous tous.

Et nous voilà, vingt-quatre ans après Edmonton. De Milazar-Buckland à Le CourtPienaar, de la piste au bitume, c’est toujours par le corps que Maurice écrit ses plus belles pages. Ce samedi, pendant que les politiciens pérorent en meetings de basse voltige, elle dévale le col du Granier, seule, vacillante, mais invincible. Elle brave la pente comme on défie la fatalité. Elle serre le maillot jaune comme on serre une promesse.

Il fallait la voir, transformant l’angoisse en audace. «J’ai failli mourir plusieurs fois dans les épingles», a-t-elle dit. Toute notre histoire est là : un pays qui tangue, trébuche, mais refuse de tomber.

Dans les rétroviseurs du Tour, un éclat tropical. Kimberley, comme Eric et Stéphan, nous pousse à sortir de notre torpeur saveur tropicale. Pas de scandale, pas de slogan. Juste l’effort pur. L’émotion brute.

Et déjà, certains s’agitent. Où la placer ? Quelle circonscription ? Quelle communauté ? Qu’ils n’y touchent pas. Qu’ils n’approchent pas cette flamme. Elle ne leur appartient pas.

Kim porte un maillot jaune. Mais surtout, elle porte Maurice. C’est cela, la leçon Kim.

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