Kenya: la pièce de théâtre «Kifo Kisimani», sur l'autoritarisme, résonne avec l’actualité

C’est un classique de la littérature kényane qui se joue au théâtre, ce week-end. La pièce Kifo Kisimani (« La mort dans le puits », en swahili) a été représentée samedi 2 et dimanche 3 août à Nairobi, la capitale. Publiée en 2001 par l’écrivain kényan Kithaka wa Mberia, dans les dernières années du régime autoritaire de Daniel arap Moi, la pièce dénonce l’autoritarisme et la brutalité policière, une histoire de résistance que la troupe espère inspirante.
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De notre correspondante à Nairobi,
Sur scène, de la fumée s’échappe, une voix s’élève, la pièce commence. Kifo Kisimani raconte l’histoire d’un jeune homme, Mwelusi, dans le royaume fictif de Butangi. Pour avoir défié le régime oppressif de Mtemi Bokono, il est arrêté et torturé. Il finit par s’échapper, mais est trahi par un de ses proches, charmé par des promesses de richesse et de pouvoir.
Gadwill Odhiambo y joue : « Mon personnage – Mwelusi – est une voix du changement, c’est quelqu’un qui a le courage de s’exprimer contre l’oppression, contre les injustices au sein de sa communauté. J’espère que les spectateurs qui viendront voir la pièce s’interrogeront : que font-ils, eux, pour insuffler du changement, pour avoir un impact sur la vie des Kényans en 2025 ? »
La pièce est entièrement en swahili, un point symbolique pour Martin Kigondu, le directeur : « Peu importe que l’on vienne de l’ouest du Kenya, du nord ou du centre et que l’on parle différents dialectes. Le swahili est la langue qui nous rassemble. L’anglais est utilisé pour lire les manuels scolaires. Le swahili, c’est la langue du peuple et c’est en parlant la langue du peuple que l’on fait bouger les choses. »
Comme beaucoup de Kényans, Martin a étudié Kifo Kisimani à l’école : la pièce a fait partie du programme scolaire pendant plusieurs années. Pour le temps d’un week-end, elle est remise sur le devant de la scène.

Préparée depuis des mois, la pièce a été rattrapée par l’actualité
Kifo Kisimani était en préparation depuis plusieurs mois. Mais la pièce a été rattrapée par l’actualité. Ces derniers mois, le Kenya a été secoué par des manifestations anti-gouvernementales pour dénoncer les violences policières. Les défenseurs des droits humains s’inquiètent aussi d’une vague d’arrestations et de répression grandissante à l’égard des voix dissidentes.
La pièce Kifo Kisimani a été écrite en 2001 mais, dans ce contexte, pour Shiko Ngure, l’une des productrices, il est difficile de ne pas y voir une résonance notamment à l’actualité kényane, explique-t-elle.
La pièce évoque la liberté d’expression, la résistance, l’avidité aussi. Ce sont des thèmes puissants et je pense que chaque Kényan, voire chaque Est-Africain peut s’y reconnaître d’une certaine manière. Je dirais même : si cette pièce est jouée au Rwanda, certains y trouveront un écho, si elle est jouée en Afrique du Sud, ce sera pareil. Pour moi, quand l’art est réalisé avec justesse, il touche son public à travers le temps, que ce soit dans le passé, le présent ou le futur. Est-ce que la pièce résonne avec l’actualité au Kenya ? Oui, mais elle a été écrite sans références au contexte actuel. Le fait qu’elle résonne encore aujourd’hui signifie peut-être que nous n’avons pas tant changé. C’est à nous, le peuple, d’en tirer les leçons. L’idée, derrière la pièce, c’est d’offrir un miroir de son époque. C’est aux spectateurs de rentrer chez eux et de réfléchir à : où nous en sommes, en tant que pays, en tant que peuple. Laissons le public interpréter l’art à sa manière.
La pièce Kifo Kisimani pousse à «réfléchir à où nous en sommes, en tant que pays, en tant que peuple», explique Shiko Ngure, l’une de ses productrices
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