La Presse — Il y a trois ou quatre décennies, les vêtements usagés étaient mal vus, signe de pauvreté et de nécessité, la fripe à Tunis se limitait au quartier de la Hafsia dans la médina, une zone habitée naguère par des juifs pauvres ; des échoppes de fortune, beaucoup de détritus, cartons, des vendeurs assez âgés, des badauds à la recherche d’une bonne occasion.
Loin donc des vitrines et des quartiers des magasins de la ville française (les boutiques de l’avenue de France, l’avenue de Paris, etc) où le citoyen aisé trouvait chaussure à son pied : pantalons, cravates, manteaux, vestes, chemises, chaussettes…
Les temps ont changé, irréversiblement, de nos jours, l’esprit de consommation, comme pour toutes choses, s’est mondialisé et s’est démocratisé, la production textile s’est accélérée, se répandant à grande vitesse au point que les vêtements sont devenus exportables et jetables. Sans complexe, le jeune Tunisien ou Sénégalais s’habille comme le jeune Newyorkais, Parisien ou Berlinois… à la fripe.
La fripe n’est plus réservée à la Hafsia, tous les quartiers de Tunis, ou presque, ont leur espace (boutiques, étals) de vente-achat de vêtements. A Tunis, dans ses banlieues nord et sud, dans les villes moyennes ou petites, on rencontre les étals de tous genres, des jours hebdomadaires consacrés à l’achat et vente dans les petites villes… les jeunes (surtout les filles) sont informés sur le marché, la qualité des produits et se passent les bonnes adresses.
De nos jours, les pièces convoitées sont siglées de noms de mode célèbres et de marques non moins célèbres, les acheteurs sont souvent des jeunes qui ne lésinent pas sur les prix quand une pièce les séduit surtout si elle affiche une marque connue et visible, celle qui donne une valeur ajoutée.
Le sens du vêtement a mué, hier il avait son identité pratique, il était nécessaire, aujourd’hui, il est tendance, de la nécessité à la conscience la fripe raconte notre rapport au vêtement. En Europe, dans les milieux artistiques ou contestataires, comme les hippies dans les années 70, les punks des années 80, les jeunes se sont emparé des vêtements usagés pour affirmer une différence, une rébellion vestimentaire : un style. La fripe devient un langage qui exprime une idée de la vie, une remise en cause de la surproduction textile, porter un vêtement usagé, c’est donc un acte écologique.
A partir des années 2000, en Tunisie, la fripe prend un essor fulgurant, elle n’a jamais été aussi plurielle et riche ; la course à la belle affaire (une grande marque à bas prix) devient le sport favori des jeunes, femmes et hommes, ils bougent à chaque occasion, d’un quartier à un autre, à la recherche de la pièce rare, même le vintage (de la fripe) avec ses vestes recyclées, ses t-shirts des années 80-90, est entré dans les moeurs (on le remarque dans les soirées chics et les vernissages). De nos jours, le vêtement de seconde main habille autant par choix que par valeurs… et la story de l’habit recyclé continue sa vertigineuse ascension.