Ce qui devait être une avancée en matière de mobilité durable s’est mué en controverse nationale. Le projet de piste cyclable – d’une longueur totale de 6,1 km – reliant Beau-Bassin, Rose-Hill et Ébène, fait aujourd’hui l’objet de vives critiques et d’une enquête formelle après la révélation de graves irrégularités administratives, techniques et financières.
D’un montant total de Rs 63,4 millions, le projet, qui n’est toujours pas opérationnel, soulève des questions préoccupantes sur la gouvernance et la gestion de fonds publics. Lancé sous le précédent gouvernement, le Cycle Network Project s’inscrivait dans une logique de mobilité verte, intégrant le vélo comme moyen de transport complémentaire au métro et autre transport public. Ce projet, élaboré avec l’appui d’un cabinet de consultants en 2019, devait comprendre, outre la voie cyclable elle-même, 78 racks à vélos répartis sur sept sites stratégiques, ainsi que des marquages au sol et des panneaux de signalisation.
Mais dès la prise de fonction du ministre des Transports terrestres, Osman Mahomed, en novembre 2024, des anomalies visibles sur le terrain – peinture déjà effacée, voies rétrécies, absence d’usage – ont conduit à la mise en place d’une enquête interne au ministère. Le ministre avait été interpellé à l’Assemblée nationale, notamment par la députée Stéphanie Anquetil, sur l’état du projet et la pertinence des dépenses engagées.
Rapport accablant et peinture à prix d’or
Le rapport de l’Internal Control Unit, remis le 30 mai 2025, révèle un enchaînement de négligences graves, d’infractions aux procédures établies et de manquements contractuels. Selon le ministre, ce projet ne repose sur aucun cadre réglementaire officiel, ce qui signifie qu’il n’est pas couvert légalement par la Road Traffic Act. Aucune notice gazettée n’a été émise pour réglementer l’utilisation de cette piste, ce qui rend son usage incertain et soulève des doutes sur la couverture en cas d’accident.
Le rapport mentionne, entre autres, que le manuel de gestion des projets d’infrastructure et les conditions contractuelles n’ont pas été respectés. Des paiements ont été effectués pour des travaux non réalisés, ce qui, selon le ministre, s’apparente à de la fraude. Les matériaux utilisés, notamment la peinture verte utilisée pour marquer la piste, sont également remis en question. Cette peinture a commencé à se dégrader et se décoller en à peine deux ans.
Fait choquant : cette peinture a coûté Rs 1 632 le mètre carré, un tarif nettement supérieur à celui du bitume de 50 mm d’épaisseur, estimé à Rs 922. «Je suis stupéfait de constater que cette peinture, qui a coûté si cher aux contribuables, s’efface aussi facilement», déclare Osman Mahomed. Il affirme que les responsables du projet devront répondre de cette mauvaise qualité et prendre en charge les réparations.
Consultants et coûts en question
L’autre volet inquiétant concerne le processus d’appel d’offres et d’attribution des contrats. Le cabinet Mega Design Consultants Ltd, désigné pour la conception du projet, a été payé Rs 13,47 millions, alors que l’évaluation technique de leurs prestations laisse à désirer. De plus, le contrat de construction a été attribué à Transinvest Construction Ltd pour un montant de 25,13 % supérieur à l’estimation initiale, alors que le ministère des Finances autorise une marge maximale de 15 % pour les projets en capital.
Le ministre évoque une absence totale de supervision adéquate, tant au niveau de la Traffic Management and Road Safety Unit que de son propre ministère. Ce laisseraller administratif a permis à des pratiques douteuses de passer inaperçues. Il a confirmé que le rapport complet a été transmis à la Financial Crimes Commission pour une enquête plus approfondie afin de déterminer s’il y a eu malversations ou collusion ; et si des commissions occultes auraient pu être versées.
Projet sans effet, avenir incertain
Le projet, bien que physiquement complété depuis novembre 2024, n’est toujours pas ouvert au public. En l’absence de cadre légal, aucun usager n’est autorisé à emprunter la voie cyclable et son utilisation reste donc interdite. Interrogé sur la suite à donner, Osman Mahomed est prudent : «Mon ministère travaille actuellement sur un cadre réglementaire pour ces infrastructures, mais au vu de la qualité des travaux, je ne peux garantir que cela sera fait dans l’immédiat.» Il insiste sur le fait qu’aucun autre projet de piste cyclable ne sera lancé tant que l’enquête en cours ne sera pas bouclée.
La peinture verte commence déjà à disparaître, à peine deux ans après les travaux.
Par ailleurs, dit-il, «il faudra d’abord apporter des rectifications sur les pistes existantes, tester l’efficacité de celle de Beau-Bassin-Rose-Hill-Ébène, évaluer son usage réel et l’adhésion des cyclistes, avant de décider d’une extension du réseau. Nous ne pouvons pas engager des fonds publics dans un projet qui ne fonctionne pas. Mais si cela donne de bons résultats, nous serons prêts à reconsidérer sa poursuite».