Cote d'Ivoire: Pr Doumbia Mamadou – « La souveraineté du développement passe par nos chercheurs locaux »

L’entretien avec le Pr Doumbia Mamadou, professeur titulaire en sciences agronomiques et ingénierie biologique à l’Université Nangui Abrogoua, met en lumière le rôle stratégique de la recherche endogène dans le développement national. La question centrale est de savoir si un pays doit se contenter d’importer le savoir ou s’il doit cultiver ses propres solutions pour répondre à ses défis spécifiques.
À travers l’exemple de son innovation, l’engrais biologique Vital Plus, issue de 21 années de recherche entamées en 2004, le Professeur démontre qu’un pays agricole comme la Côte d’Ivoire ne peut dépendre exclusivement d’intrants importés. Vital Plus s’impose ainsi comme un modèle d’autonomie scientifique, mettant en exergue l’importance de la recherche locale. Son dévouement a été récompensé par plusieurs distinctions nationales.
La recherche endogène, qu’est-ce que cela signifie et pourquoi est-elle indispensable par rapport au modèle de recherche importé ?
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Le développement d’un pays ne peut pas reposer uniquement sur des apports extérieurs. Il doit s’appuyer sur ses propres chercheurs, capables de s’attaquer à ses problématiques spécifiques. Les solutions conçues à l’étranger ne répondent pas toujours à nos réalités. D’où la nécessité de développer une recherche véritablement endogène. La Chine en est un exemple inspirant, tout comme l’Inde, qui ont su bâtir leur développement sur des solutions issues de leurs propres laboratoires.
Au-delà de l’indépendance scientifique, quels avantages concrets la recherche endogène offre-t-elle pour résoudre les défis spécifiques de notre pays ?
Je prendrai trois exemples pour illustrer cela. Premièrement, la guerre israélo-iranienne : si l’Iran n’avait pas développé sa propre recherche en matière d’armement, il aurait été totalement affaibli. Son investissement dans la recherche interne a constitué une réponse stratégique décisive.
Deuxièmement, l’embargo américain sur les semi-conducteurs imposé à Huawei en 2019. Ce choc externe a poussé la Chine à intensifier massivement ses efforts de recherche, au point de produire aujourd’hui ses propres semi-conducteurs, atteignant le seuil impressionnant des 4 nanomètres. Cela illustre parfaitement l’importance de la souveraineté technologique.
Troisièmement, la crise de la COVID-19, qui a révélé notre dépendance extérieure, notamment en matière d’engrais. Le prix du sac d’urée a explosé. Grâce à la recherche endogène initiée dès 2004, les biosolutions comme Vital Plus ont apporté une réponse rapide et locale. Les commandes de ministères ont confirmé leur pertinence et leur efficacité. Cet exemple montre que la recherche tournée vers nos besoins nationaux est indispensable pour garantir résilience et autonomie.
Pouvez-vous nous donner un exemple concret, notamment dans l’agriculture, où vos biosolutions Vital Plus ont eu un impact visible et durable ?
Les biosolutions Vital Plus sont de plus en plus utilisées, souvent grâce au bouche-à-oreille, en raison de leur efficacité et de leur accessibilité financière. Nous utilisons exclusivement des matières premières disponibles localement, ce qui réduit considérablement les coûts.
Sur le palmier à huile, par exemple, nous avons permis à des producteurs de doubler, voire tripler leurs rendements entre 2022 et aujourd’hui. Les retours sont très positifs.
Sur le cacao, nos produits ont redonné vie à des vergers touchés par le swollen shoot, considéré comme le « sida du cacao ».
À l’international, des essais menés au Mali ont montré un doublement des rendements du coton. Nous avons également réalisé des tests en Turquie, au Brésil et en Thaïlande, avec des résultats tout aussi performants. Cela montre que nos solutions répondent non seulement aux besoins ivoiriens, mais contribuent aussi à renforcer la notoriété scientifique de la Côte d’Ivoire à l’international.
Cette recherche vous a valu plusieurs distinctions. Un mot sur ces récompenses ?
L’année 2025 a été pour moi une année de reconnaissance nationale. En juin, j’ai été fait Chevalier de l’Ordre du Mérite de la Fonction publique. J’ai ensuite obtenu le 3e Prix de l’Innovation Technologique (Prix Alassane Ouattara 2025). Enfin, j’ai été lauréat du Prix de la Fondation Auline, lors de la Journée Mondiale des Sols 2025, pour nos travaux sur les biosolutions Vital Plus. Ces distinctions sont des encouragements forts. Mais elles nous obligent également à maintenir un haut niveau d’exigence. Notre ambition est d’approfondir nos travaux tout en garantissant une qualité irréprochable.
Une confiance qui passe par un soutien fort des autorités ?
Absolument. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, sous la conduite du Professeur Diawara, joue un rôle déterminant dans la promotion de la recherche endogène, notamment à travers la création des Pôles de Recherche. Le Pôle Production Végétale, auquel nous appartenons, traite des enjeux agricoles essentiels. Les Plans Nationaux de Recherche constituent également un cadre stratégique important. Tout cela montre que la valorisation des résultats de la recherche est désormais au cœur de la politique du ministère. Un signal très encourageant.
Si vous aviez une seule mesure politique prioritaire à recommander aux décideurs pour les cinq prochaines années, laquelle choisiriez-vous ?
Pour que notre recherche ait un impact réel, il faut un engagement politique fort, notamment de la part des ministères bénéficiaires. Une décision du Ministère de l’Agriculture soutenant officiellement des innovations comme Vital Plus serait un signal majeur. Cela légitimerait nos travaux et valoriserait l’ensemble des chercheurs locaux.
Au-delà de la reconnaissance institutionnelle, la société civile et les médias ont un rôle crucial à jouer. La valorisation publique des découvertes scientifiques locales, comme cela se fait ailleurs dans le monde, confère une valeur symbolique immense. Enfin, améliorer les équipements et l’environnement de travail des chercheurs est essentiel pour garantir qualité, rigueur et continuité.



