Depuis la fin des années 2000, les projets de compensation carbone se sont multipliés à Madagascar. Ces projets renvoient à des initiatives diverses, allant de programmes de reforestation et de boisement à la restauration des zones humides et à la prévention de la déforestation. Ils sont présentés par leurs promoteurs comme des solutions « gagnant-gagnant », offrant à la fois des avantages en termes d’atténuation du changement climatique et de développement socio-économique local.
Mais au-delà du discours et des promesses, de quoi parle-t-on lorsqu’on évoque les projets de compensation carbone à Madagascar ? Quels sont les contours de ces projets en termes d’échelle d’intervention, d’acteurs impliqués et de promesses d’engagement envers les communautés locales ?
Mes recherches portent sur l’analyse des interactions entre agriculture familiale et dynamiques territoriales au prisme des questions foncières. J’ai récemment mené une étude exploratoire entre les mois de janvier et juin 2025, avec l’appui d’une équipe d’étudiants de l’Ecole supérieure des sciences agronomiques de l’université d’Antananarivo. Elle apporte un éclairage sur l’ampleur et la diversité des projets de compensation carbone à Madagascar.
Une réglementation en évolution
À Madagascar, le décret 2021-1113 relatif à la régulation de l’accès au marché du carbone forestier avait introduit des dispositions attribuant à l’État la propriété de tous les crédits carbone générés dans le pays. Cela avait eu pour effet de limiter l’accès au marché du carbone pour les organisations non gouvernementales (ONG) et les acteurs du secteur privé.
Face à ce constat, le gouvernement malgache a initié, fin 2024, un processus de révision de ce décret. Ce processus a abouti le 6 juin 2025 à l’adoption du décret 2025-626 élargissant les droits d’accès au marché du carbone forestier. Il ouvre également des opportunités à d’autres types d’acteurs pour bénéficier des revenus issus de la vente de crédits carbone.
Désormais, toute personne physique ou morale, publique ou privée, nationale ou étrangère, peut, sous certaines conditions, générer des réductions d’émissions, en revendiquer la propriété et les commercialiser.
Néanmoins, à ce stade, les effets de ce nouveau cadre réglementaire sur le marché du carbone à Madagascar restent incertains.
État des lieux des projets de compensation carbone
Malgré cette incertitude, Madagascar a connu de nombreuses initiatives visant à établir un modèle commercial pour la conservation et la restauration des forêts. Cependant, seul un nombre limité de projets a dépassé la phase initiale de démarrage et a finalement été enregistré sur le marché volontaire du carbone.
Dix projets de carbone terrestre sont actuellement répertoriés à Madagascar dans les registres de compensation carbone. Au total, six projets ont progressé avec succès vers un statut d’enregistrement, tandis que quatre restent en cours de développement ou de validation. Parmi les projets enregistrés, quatre sont également confrontés à des retards de vérification.
La superficie totale des terres répertoriées pour l’ensemble de ces projets de compensation carbone s’élève à 894 026 hectares. Ces projets sont initiés par une diversité d’acteurs (État, ONG de conservation, entreprise étrangère, etc.) au nom de la lutte contre les crises du climat et de la biodiversité. Toutefois, ils peuvent engendrer une concurrence accrue pour les terres et constituer ainsi une menace supplémentaire pour l’agriculture familiale malgache.
Principaux types de projets de compensation carbone
Les données du registre de compensation carbone montrent que les projets sont très divers. Ils peuvent être regroupés en trois types : les projets de conservation à grande échelle, les projets communautaires et les investissements du secteur privé.
Depuis le début des années 2000, la finance carbone est reconnue comme un outil potentiel pour financer durablement la gestion des aires de conservation.
À Madagascar, le secteur de la compensation carbone comprend un petit nombre de projets à grande échelle menés par des ONG internationales telles que Conservation International et Wildlife Conservation Society (WCS), qui visent à générer des fonds supplémentaires pour les efforts de conservation grâce à la vente de crédits carbone.
Ces initiatives sont généralement mises en oeuvre sur des terres appartenant à l’État. Elles sont gérées dans le cadre d’accords à long terme avec des ONG internationales – comme par exemple le projet d’aire protégée de la forêt de Makira, qui représente à lui seul plus de 350 000 hectares dans le registre Verified Carbon Standard de Verra, mis en oeuvre par WCS.
Un autre type de projet vise à diversifier les revenus des agriculteurs locaux et à promouvoir le développement rural dans le cadre de projets de moindre envergure, dont la superficie est généralement inférieure à 10 000 hectares.
Par exemple, le projet Tahiry Honko, mis en oeuvre par l’ONG britannique Blue Ventures dans l’aire marine protégée de Velondriake, au sud-ouest de Madagascar, se concentre sur le reboisement et la conservation de plus de 1 200 hectares de mangroves. Il vise également le développement de moyens de subsistance alternatifs pour les communautés locales.
Bien que les terres de mangroves appartiennent à l’État, l’association Velondriake cherche à obtenir des droits légaux pour gérer la forêt de mangroves. Cependant, l’interdiction nationale de l’exploitation des mangroves et les questions foncières non résolues restent des défis à relever, en particulier pour les ventes de crédits carbone.
Par ailleurs, quelques projets sont également menés par des acteurs du secteur privé tel que le projet Fagnako financé par Canopy Energy, une société française basée à Paris. Le projet intervient dans l’est de Madagascar. Il vise à réhabiliter des terres dégradées en plantant 3 millions d’arbres Pongamia, des espèces fourragères et des arbres fruitiers.
Pour ce faire, en décembre 2023, le projet a signé un bail emphytéotique de 35 ans avec la commune de Vohitranivona sur 10 500 ha.
Notre étude met en évidence que la taille des projets varie considérablement selon la nature des acteurs impliqués et leurs stratégies. Elle va de petites initiatives communautaires de moins de 2 000 hectares à des efforts REDD+ (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) à grande échelle couvrant plus de 300 000 hectares. Cela souligne les ambitions très diverses au sein du secteur des compensations carbone à Madagascar.
Des promesses d’engagement variables
Les engagements d’investissement en faveur des communautés locales et du développement territorial varient considérablement d’un projet à l’autre. Ils vont de simples initiatives de formation et de sensibilisation des communautés locales à la création de centaines d’emplois et à la réhabilitation d’infrastructures communautaires.
Le projet de reforestation communautaire TERAKA, par exemple, adopte une approche centrée sur la diffusion des connaissances et le renforcement des capacités des ménages ruraux au travers de formations diverses (plantation d’arbres, fourneaux améliorés, etc.).
En outre, le projet met l’accent sur le partage des bénéfices de la vente des crédits carbone. En revanche, il ne vise pas à créer des emplois directs ou à fournir des appuis à des services plus larges.
À l’inverse, le projet Fagnako vise à créer des opportunités d’emploi, avec un résultat attendu de 300 emplois permanents et de 3 000 emplois saisonniers, ainsi qu’à réhabiliter les infrastructures municipales. Cependant, le document de projet ne mentionne aucun mécanisme de partage des revenus visant à fournir aux communautés locales une part directe des revenus générés par les ventes de crédits carbone.
Par ailleurs, des écarts peuvent exister entre les annonces des promoteurs de projets et les concrétisations sur le terrain.
La réalisation des promesses d’engagement dépend d’une combinaison de facteurs. Le volontarisme des porteurs de projets joue un rôle central, notamment en matière d’inclusion des exploitants familiaux et de reconnaissance des droits fonciers locaux. Elle repose aussi sur des engagements contraignants visant à renforcer la transparence tout au long du cycle de vie des projets.
Enfin, les moyens financiers devraient être alignés avec les objectifs annoncés par les promoteurs de projets en termes de retombées socio-économiques pour les populations locales. En effet, de manière générale, il y a une sous-estimation des ressources nécessaires aux activités de développement local dans ces projets.
Suivre l’évolution des marchés de compensation carbone
Finalement, cette étude exploratoire montre que le marché du carbone à Madagascar reste un secteur émergent. Il est caractérisé par un ensemble diversifié d’acteurs aux objectifs variés, de nombreux projets encore en phase de démarrage et un cadre réglementaire national sur le carbone nouvellement révisé. Cette situation nécessite une attention particulière de la part des décideurs politiques, des chercheurs et des organisations de la société civile.
Dans ce contexte d’incertitude, la nécessité de poursuivre des recherches de terrain approfondies s’impose. Cette nécessité apparaît d’autant plus saillante dans le contexte actuel, marqué par l’adoption du décret 2025-626, qui élargit les droits d’accès au marché du carbone forestier. Cette nouvelle réglementation laisse entrevoir une multiplication des projets de compensation carbone dans le pays au cours des prochaines années.
Elle pourrait, en l’absence d’initiatives de régulation en matière de transparence et de redevabilité des porteurs de projets, alimenter une vague d’« accaparements verts » au nom de la biodiversité et de la protection de la nature et ainsi menacer les moyens de subsistance de millions d’exploitants familiaux.
Quentin Grislain, Chercheur en géographie politique, Cirad