Est de la RDC: des représentants des peuples autochtones entendus au procès de Roger Lumbala

À Paris, le procès de Roger Lumbala se poursuit. L’ancien chef rebelle est jugé pour complicité de crimes contre l’humanité et pour association de malfaiteurs, pour des faits commis dans l’Est de la RDC. Depuis le début des audiences, il refuse de se présenter et mercredi 26 novembre encore, il n’était pas dans la salle, alors que les juges continuent d’entendre les témoins. Un chef coutumier Bambuti, peuple autochtone de la région d’Epulu, a apporté un éclairage à la Cour. Cette communauté marginalisée, ostracisée, déclassifiée a toujours souffert de mauvais traitements de la part des communautés environnantes et du gouvernement.
Publié le :
4 min Temps de lecture
Pour beaucoup des survivants, les témoins reviennent sur l’opération « Effacer le tableau », menée entre 2002 et 2003. Ils décrivent des villages attaqués, des violences extrêmes et citent plusieurs noms, en particulier celui du général Constant Ndima Kongba, ancien gouverneur-militaire du Nord-Kivu de 2021 à 2023.
Roger Lumbala affirme qu’il n’avait aucun rôle militaire. Il soutient que son mouvement, le RCD-N, était uniquement politique et que les combattants présents sur le terrain appartenaient en réalité au groupe de Jean-Pierre Bemba. Selon plusieurs rapports et témoins, une grande partie des hommes qui opéraient dans la zone contrôlée par le RCD-N provenaient effectivement du camp de Jean-Pierre Bemba, allié de Roger Lumbala à cette période.
Et ces combattants étaient dirigés, toujours selon ces mêmes sources, par Constant Ndima Kongba. On le voit aussi aux côtés de Roger Lumbala sur des photographies prises dans l’est du pays, des images versées au dossier. À la barre, plusieurs témoins expliquent que Roger Lumbala, en tant que président du RCD-N, donnait des instructions au commandant des opérations à Isiro, Constant Ndima.
À lire aussiRDC: audition d’un témoin au procès de l’ex-chef rebelle Roger Lumbala
Sous son autorité, d’après les mêmes sources, se trouvaient plusieurs responsables militaires mis en cause pour les crimes commis durant l’opération « Effacer le tableau ». Parmi eux : Freddy Ngalimu, Widdy Ramsès, surnommé « le roi des imbéciles ». Selon les témoins et selon le ministère public, tous opéraient sur le terrain sous les ordres de Constant Ndima, lui-même surnommé « Effacer le tableau ». Lundi 24 novembre, une question a été posée directement par les témoins : pourquoi Constant Ndima n’est-il pas, lui aussi, jugé à Paris ? Le président du tribunal a répondu simplement que c’est parce qu’il ne réside pas en France.
Audience sur la répression des peuples autochtones
Lors des audiences de mercredi également, deux témoins Bambuti ont pu raconter cette période sombre de l’histoire. L’un d’eux revient sur les événements sans pouvoir les dater précisément. Il témoigne du viol de sa sœur par trois hommes qu’il nomme « les effaceurs », alors qu’elle était enceinte et malgré les tentatives pour la sauver, elle décède trois jours plus tard. Il évoque aussi que sa tante lui a confié les atrocités du viol, mais généralement, dit-il, ce sont des secrets bien gardés.
Le président de la Cour lui demande comment les femmes sont considérées dans sa communauté. Il répond que, du fait qu’elles donnent la vie, elles sont respectées, elles sont les égales des hommes. Elles ne sont pas renvoyées du clan comme chez les Bantous, ajoute-t-il.
Le président poursuit : « Avez-vous vu Roger Lumbala ? ». « Oui, j’ai vu M. Lumbala. Il était en costume. Mon campement était juste derrière la piste d’atterrissage, explique le témoin. Il est arrivé et il a fait un meeting. À l’entendre, Lumbala était le président de la République. »
« Savez-vous pourquoi vous avez été la cible de l’opération Effacer le tableau ? », interroge le juge. La réponse ne tarde pas : « c’est la conséquence de la guerre créée par les autorités. Et puis, pour les Bantous, nous sommes comme des animaux : nous n’avons aucune valeur à leurs yeux ». Le président enchaîne : « que pensez-vous des croyances véhiculées sur la magie que l’on vous prête ? » « C’est uniquement à cause de nos connaissances de la forêt et des plantes, précise le témoin. Et si j’avais ces pouvoirs magiques, les miens et moi-même n’aurions jamais été attrapés et j’aurais pu chasser ces militaires. »
L’audition s’achève et le chef coutumier d’Epulu sort avec l’impression d’avoir enfin été entendu sur les crimes commis contre sa communauté, éprouvée par des décennies de persécutions et de non-reconnaissance de leur statut de peuple à part entière. L’accusé Roger Lumbala, lui, refuse de comparaitre et de confronter les victimes.
À lire aussiEst de la RDC: au procès de l’ex-chef rebelle Lumbala, des témoins décrivent un violent système de racket



