Mali : l’Azawad, talon d’Achille de la stratégie russe

Graffiti pro-Azawad à Kidal © MINUSMA / Blagoje Grujic
Graffiti pro-Azawad à Kidal © MINUSMA / Blagoje Grujic

Un an après la bataille de Tin Zaouatine, la présence russe au nord du Mali vacille. Entre revers militaires, exactions et propagande, le partenaire sécuritaire de Bamako peine à contenir l’implosion.

Le 27 juillet 2024, une embuscade éclair menée par la coalition rebelle CSP-Azawad décimait un détachement du groupe Wagner à Tin Zaouatine, dans l’extrême nord du Mali. Bilan : 84 mercenaires russes tués, dont plusieurs figures emblématiques de l’écosystème pro-Kremlin, à l’image de l’influenceur Nikita Fedyanin, lié à la chaîne Telegram Grey Zone. Un an plus tard, un ancien membre du groupe paramilitaire revient sur cet épisode dans un documentaire révélateur : loin d’un simple revers tactique, la déroute de Tin Zaouatine a marqué le début d’un lent effondrement de l’influence russe dans l’Azawad.

Une implantation militaire méthodique… et fragile

À l’été 2024, Wagner avait massivement investi le septentrion malien. La chute de Kidal, largement médiatisée par la junte via les réseaux Telegram, avait ouvert la voie à une implantation structurée des mercenaires russes. Un document confidentiel que nous avons pu consulter décrit une présence tentaculaire : 7 postes à Kidal, 5 à Aguelhoc, 5 à Anefis et jusqu’à 17 à Tessalit. Les effectifs y sont précis : 23, 39, 21 et 59 hommes respectivement, épaulés par des éléments des FAMA et de la gendarmerie.

Mais cette stratégie de quadrillage s’est rapidement heurtée à la réalité du terrain. La zone reste un bastion rebelle, difficilement contrôlable, et les alliances communautaires y sont mouvantes. La contre-offensive du CSP/Azawad a non seulement affaibli les capacités de Wagner, mais aussi révélé les limites d’une intervention principalement fondée sur la force brute.

Africa Corps : un relais en panne de légitimité

Depuis cette débâcle, Wagner a été progressivement remplacé par Africa Corps, une nouvelle entité sous tutelle directe du ministère russe de la Défense. Cette transition ne s’est pas faite sans heurts. Des sources distinctes rapportent une désorganisation persistante : chaînes de commandement parallèles, frictions internes, absence de coordination. Loin d’apparaître comme un renouveau, Africa Corps semble perpétuer les erreurs de son prédécesseur.

Frappes aveugles et stratégie de la terreur

Le désastre sécuritaire s’est doublé d’une spirale de violences contre les civils. Le 25 août 2024, un drone opéré par Wagner tuait 21 personnes, dont 11 enfants, à Tin Zaouatine. Aucune cible militaire n’était présente. Ce massacre a ouvert une séquence de répression aveugle documentée par plusieurs ONG et missions onusiennes.

Entre novembre 2024 et mai 2025, des exécutions sommaires ont été signalées à Nara, Lerneb, Dioura et Tombouctou. Les rapports de Human Rights Watch et des Nations unies pointent des crimes ciblés, notamment contre les communautés peules. À Sebabougou, 65 éleveurs ont été exécutés. À Kobé, une embuscade a fait 34 morts en février. Des disparitions forcées sont également rapportées à Kourma et Belidanédji, avec un schéma constant : descentes brutales, détentions arbitraires, corps mutilés ou introuvables.

Dans le même temps, les chaînes Telegram proches de Wagner ont diffusé des vidéos montrant tortures et exécutions. Ce recours assumé à la propagande de la terreur est déjà qualifié de crime de guerre par plusieurs experts en droit international.

Une stratégie qui se retourne contre elle-même

L’enquête Story Killers menée par Forbidden Stories en juin 2025 a confirmé l’existence de centres de détention clandestins sur des bases russes, où des civils étaient interrogés et torturés. Loin de dissuader les groupes terroristes, ces pratiques nourrissent les recrutements et radicalisent les populations locales.

La stratégie sécuritaire de Bamako, fondée sur une militarisation à outrance et la sous-traitance à des acteurs étrangers, apparaît de plus en plus comme une impasse. La répression brutale, la perte de confiance des populations et l’enlisement dans le nord minent les gains proclamés.

L’Azawad, impasse ou révélateur ?

L’Azawad, loin d’être un terrain conquis, s’impose aujourd’hui comme le point noir de l’alliance russo-malienne. Pour le Kremlin, ce caillou dans la botte rappelle que la guerre de l’image ne peut masquer indéfiniment les réalités du terrain. Et pour Bamako, l’échec à sécuriser cette région stratégique interroge profondément la viabilité du partenariat militaire engagé depuis 2021.

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