Jambo Radio, média communautaire de RDC, reçoit le prix «genre et solutions» à la COP30

Depuis 2022, cette radio en ligne informe sur les enjeux environnementaux et climatiques. A destination des communautés locales et des femmes en particulier, il débusque aussi les fausses informations et son « Lab » envoie des SMS d’alerte météo. Lundi 17 novembre, Jambo Radio a reçu une par la WECF, une ONG féministe qui oeuvre à l’égalité hommes-femmes. Rencontre à Belém avec le co-fondateur, Joseph Tsongo. Il vit à Goma… quand il n’est pas en exil.
De notre envoyé spécial à Belem
« Jambo Radio, chaque jour, informations et plaidoyer sur les réalités environnementales et climatiques, en déconstruisant les mythes et la désinformation à ce sujet en République démocratique du Congo… » La voix est chantante, le jingle est frais et vivant, il donne envie de rester à l’écoute.
Puis, sur un ton clair et lent, Joseph Tsongo prend le micro : « aujourd’hui, nous allons essayer de comprendre les droits des communautés locales et des populations autochtones face à l’exploitation des ressources naturelles, en République démocratique du Congo. Notamment sur le principe Clipe : consentement libre, informé, préalable et éclairé »…
C’est parti pour une dizaine de minutes de podcast, avec comme invité un avocat et défenseur des droits de l’homme et de l’environnement. Dans un quasi-monologue pédagogique, il invite les citoyens à s’emparer de leurs droits, pour « amener les communautés à comprendre qu’elles ont un pouvoir de décision dans la gouvernance responsable, transparente et durable de nos ressources naturelles ».
Puis l’animateur reprend la parole : « vous comprenez avec nous que le Clipe, c’est notre pouvoir de dire oui ou de dire non avant que qui que ce soit ne vienne toucher à nos terres, nos forêts et nos rivières… C’est un pouvoir reconnu par les lois internationales mais bien souvent ignoré chez nous… » Il raconte comment, dans le territoire de Basoko, une mine a pollué les lieux : « selon les informations en notre possession, les poissons ont disparu, l’eau est devenue sale, les enfants tombent malades… »
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Un média en ligne et des clubs dans les communautés rurales
Jambo Radio est en ligne en 2022 par Joseph Tsongo, Patricia Kasori et Béatrice Mbuyi, originaires de Goma, Kisangani et Rutshuru. Enceinte et sans passeport, les deux femmes n’ont pu venir. Dommage pour un prix sur le genre. C’est donc Joseph Tshongo, 31 ans, qui nous la présente dans les couloirs de la COP30, à Belém. Il se définit comme activiste, story-teller et organisateur communautaire. Son travail se rapproche en fait beaucoup de celui du journaliste ou du lanceur d’alerte.
Jambo Radio s’est spécialisée dans les sujets climat et environnement. Il s’adresse en priorité à trois publics : les ruraux, les jeunes et les femmes, « celles qui font tout mais sont les moins informées ». Privées de pouvoir de décision, les femmes, notamment dans les milieux ruraux pour des raisons culturelles ou de modes de vie, sont plus exposées que les hommes aux catastrophes naturelles.
Pour atteindre ce public, Joseph Tsongo diffuse en trois langues, le swahili, le lingala et le français. Les podcasts sont également mis sur carte mémoire (flashdisk), qui sont apportées physiquement aux communautés.
Média d’incitation à la décision
Mais Jambo n’est pas qu’un pure player – un média qui n’existe qu’en ligne. Elle a aussi une présence physique à travers les 4000 « clubs d’auditeurs » que Joseph Tshongo revendique dans les quatre territoires couverts (Nord et Sud-Kivu, Ituri et la Tshopo).
« Nous organisons des séances de débats citoyens. Nous voulions répondre à la fois à un déficit informationnel et à un besoin d’échange. On veut créer de l’engagement pour que les gens puissent participer et prendre des décisions. Ce sont eux qui parfois choisissent les sujets dont nous allons parler », explique l’entrepreneur social.
L’influence du média se verra sur le long terme à travers l’appropriation des connaissances. « Au fur et à mesure, nous voyons des gens mieux outillés, qui comprennent certaines choses. Comme si les enjeux climatiques étaient réservés aux scientifiques, alors que c’est tout ce que nous mangeons, buvons, c’est notre environnement. On remet le débat au niveau local. »
Démystifier les infox
Et parfois, cela débouche sur des actions. « On a communiqué sur les projets d’exploitation pétrolière dans les Virunga, sans le consentement des communautés locales. Cela allait affecter leur territoire et leurs moyens de subsistance. Les communautés se sont mises debout et se sont mobilisées avec d’autres organisations de la société civile », dans le cadre de la campagne Terre sans pétrole contre les blocs pétroliers à vendre en pleine forêt tropicale. En novembre 2024, le gouvernement a suspendu ce projet. Nous y avons mis un peu de notre force… »
Jambo Radio s’emploie aussi à démystifier les fausses informations qui atteignent facilement ces populations éloignées. Par exemple, toujours sur ce projet pétrolier, explique Joseph, « des membres de communautés locales ont affirmé que tous les pays développés ou qui sont en train de se développer utilisent forcément du pétrole. Pour eux, on faisait le jeu de l’Occident en disant qu’on n’avait pas le droit d’exploiter le pétrole. On a donc dû démontrer que tous les pays ne se développent pas en sortant du pétrole de leur terre ».
Pour mieux appuyer sa démonstration, Jambo a invité un économiste pour expliquer qu’il y avait d’autres alternatives pour le pays, agriculture, climat favorable, tourisme, potentiel forestier… « Ces communautés sont victimes de l’extractivisme de multinationales qui les chassent de leurs territoires pour exploiter les minerais stratégiques pour la transition verte. C’est paradoxal : on ne peut parler de protéger la forêt en exploitant, en tuant et en dépossédant des communautés qui protègent la forêt depuis des millénaires. »
Quant la transition verte vire au rouge
Désinformation environnementale, transition énergétique juste, dilemme de l’exploitation des fossiles, minéraux critiques… Autant de problèmes cruciaux et centraux de cette COP30, que la RDC concentre probablement plus qu’aucun autre pays. « L’AIE prévoit une augmentation de la demande de 20% des minerais d’ici 2040. On produit 70% du cobalt mondial… Ca va augmenter la pression sur l’environnement. On va exproprier, faire travailler des enfants dans les mines. Et c’est aussi pour cela qu’il y a la guerre dans mon pays », craint-il. Il pointe aussi la responsabilité de l’Occident dans la production et la consommation de smartphones, nouvelles technologies et voitures électriques sans se soucier d’où vient la matière première… Dans son essai qu’il vient de dévoiler à la COP, il raconte cette transition verte « qui vire au rouge en Afrique ».
Joseph lui-même, en informant sur des sujets sensibles, n’est plus tranquille. Les ennuis ont commencé dès 2022. « La maison que je loue a été vandalisée, j’ai dû me cacher. Ils m’ont pris mon ordinateur, mon passeport, ma carte bancaire, ils ont piraté mon compte WhatsApp… »
Pour lui, aucun doute : ses ennemis sont « ceux qui tirent profit de cette chaine d’exploitation ». Début mars 2025, après avoir reçu de nouvelles menaces, il décide de fuir, sur fond de prise de contrôle de sa ville par les rebelles du M23… Tanzanie, Kenya, et même Pays-Bas, puis des retours furtifs à Goma : tel est son lot désormais. Jambo Radio en souffre aussi. Son dernier podcast remonte à six mois.
1 900 candidatures
Et ce n’est pas tout : en parallèle, le Jambo Lab, une plateforme adossée à l’intelligence artificielle, est calibré comme un système d’alerte précoce. Connecté au service météo national, il envoie des SMS sur des téléphones portables en cas de prévisions d’intempéries.
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Illustration de l’utilité de l’information lorsqu’elle est mise gratuitement au service des populations, Jambo Radio a reçu le prix genre et solutions ce lundi 17 novembre. « Nous avons sélectionné Jambo Radio parmi 1 900 candidatures pour son aspect novateur, explique Valeria Pelaez, de la WECF. C’est une très bonne solution pour donner du pouvoir aux femmes et aux communautés, pour les atteindre. Elle est facile à dupliquer à grande échelle. »
Les 5 000 euros de récompense feront du bien aux reins de la radio. Celle-ci, indique, Joseph Tshongo, tourne sur les fonds propres de ses animateurs, bénévoles, et quelques contributions. « On n’a pas besoin de beaucoup pour faire quelque chose. Nous vivons dans ces communautés. Ce sont aussi nos problèmes. »
Un plan d’action pour l’égalité des sexes
Depuis dix ans, le prix Solutions Genre et Climat, que nous met en avant chaque année, récompense des approches innovantes, inclusives et sensibles au genre pour lutter contre les changements climatiques. « C’est notre façon de montrer comment l’action climatique peut et doit être centrée sur l’égalité des sexes et les droits des femmes », explique l’organisateur, la Women Engage for a Common Future (WECF), une vaste fédération écoféministe internationale. Elle est membre, à la COP, de la Constituante femme et genre, l’un des neuf groupes d’acteurs de la société civile reconnus par la Convention-Cadre de l’ONU sur le climat, au côté des groupes jeunesse, syndicats, entreprises, etc. La COP30 doit justement aboutir à un plan d’action pour l’égalité des sexes. Il s’agit notamment de promouvoir une participation inclusive et significative des femmes à la prise de décision et aux négociations. En outre, il doit corriger, sur le principe, l’infime fraction des financements climat vont à des projets qui incluent la thématique de genre, pourtant étroitement liée.



