Paris Photo 2025: Atong Atem, une œuvre née en Afrique et Australie et promue sur Mars

Au Grand Palais, Paris Photo, la plus grande et meilleure foire dédiée à la photographie au monde, a ouvert ses portes ce jeudi 13 novembre. Des centaines de photographes représentés par 178 galeries ont été sélectionnés pour l’édition 2025. Les œuvres de l’artiste Atong Atem ont particulièrement attiré notre regard. Née en Éthiopie dans une famille soudanaise, elle est installée en Australie où son œuvre iconique et singulière est défendue par la Mars Gallery, à Melbourne. Entretien avec la directrice Andy Dinan.

RFI : C’est votre première à Paris Photo. Racontez-nous.

Andy Dinan : C’est également la première fois que mon artiste Atong Atem expose ici. Nous sommes très fiers d’être ici, parce que Paris Photo, pour moi, c’est le meilleur salon de photographie au monde. C’est l’endroit où, en deux heures seulement, on peut voir ce qui se passe dans le monde de la photographie. On y voit le meilleur du meilleur.

Comment une galerie basée en Australie en vient-elle à représenter et à exposer une artiste et photographe soudanaise née 1991 à Addis-Abeba, en Éthiopie ?

Petite fille, elle et sa famille ont été dans un camp de réfugiés au Kenya, à Kakuma. En 1997, elle est arrivée en Australie dans un camp de réfugiés en Nouvelle-Galles du Sud. C’est là-bas qu’elle a fait ses études, avant de déménager à Melbourne, où j’ai rencontré Atong Atem. Aujourd’hui, elle rencontre un énorme succès. Elle a participé à une exposition collective à la Tate Modern. Elle expose actuellement au Musée maritime d’Amsterdam, à la National Gallery et à la National Portrait Gallery de Canberra, à l’Art Gallery en Nouvelle-Galles du Sud. Elle expose également en Allemagne…

Quand on regarde les œuvres d’Atong Atem, on n’a pas l’impression de voir une photographie. Ces œuvres, plus de 2 mètres de haut, ressemblent davantage à du textile, à de l’artisanat, à de la peinture. Comment travaille-t-elle ?

Elle travaille avec la photographie, le collage. Tout ce que vous voyez dans cette œuvre est très réfléchi. Elle s’intéresse à la famille, à la culture et à la communauté. Elle joue avec les visages des cartes de tarot, l’avenir et le sort qui nous est réservé. Et elle y met son image. Sur ce tableau, par exemple, c’est un autoportrait. Elle apparaît dans chacune de ces œuvres sous une apparence différente. Et puis, quand on les regarde de plus près, on se rend compte qu’elle s’exprime en fait sur le monde et sur l’avenir du monde.

A droite, un détail de l’œuvre IV de la série « This Happened To You » de l’artiste Atong Atem, présentée par la Mars Gallery (Australie) à Paris Photo 2025.
A droite, un détail de l’œuvre IV de la série « This Happened To You » de l’artiste Atong Atem, présentée par la Mars Gallery (Australie) à Paris Photo 2025. © Siegfried Forster / RFI

Les watusi, avec leurs cornes immenses, que signifie cette présence au fond de sa nouvelle image The Hierophant 

La culture, le changement climatique, la religion… car dans certains pays, ce sont des figures religieuses. On peut y voir des choses très différentes selon qui on est. Pour moi, quand je regarde cette œuvre, elle regarde au loin, vers l’avenir de l’humanité.

La série est intitulée This Happened To You Cela vous est arrivé »). Elle traite de la famille, de la mythologie, et on y voit des femmes partout. La femme, est-ce un thème important pour elle ?

Absolument. Le rôle des femmes à la maison, les tissus qu’elles transmettent de génération en génération…  Vous pouvez constater que ces œuvres ne sont pas encadrées. Elles sont accrochées à la manière dont on accrochait autrefois les tapisseries. Elle est à la fois tournée vers le passé et vers l’avenir.

Ses photographies-collages monumentales sont numérotées en haut avec une certaine gravité, à l’aide de chiffres romains : I, III, X…, comme des tableaux ou des vitraux représentant des scènes bibliques dans des églises ou des cathédrales…

Elle finira par réaliser toutes les cartes de tarot… Nous avons sélectionné ensemble ces quatre œuvres pour les exposer à Paris Photo. Elles représentent vraiment bien son travail et les différents moments du jeu de tarot et de l’avenir du monde.

Parlez-nous davantage de ce groupe de trois femmes réunies dans le numéro III de This Happened To You. Un tableau très représentatif pour son approche artistique.

Il s’agit d’une célébration joyeuse des femmes. Dans le collage, au fond, vous verrez une peinture d’Arthur Streeton (peintre australien, 1867-1943), une de nos célèbres peintures coloniales, exposées à l’Art Gallery de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. Sur cette photographie, vous verrez des femmes en train de faire la fête. Elle s’intéresse à une dystopie sud-africaine, au passé colonial, aux photographes coloniaux. En même temps, elle célèbre la féminité et la famille.

A droite, un détail de l’œuvre III de la série « This Happened To You » de l’artiste Atong Atem, présentée par la Mars Gallery (Australie) à Paris Photo 2025.
A droite, un détail de l’œuvre III de la série « This Happened To You » de l’artiste Atong Atem, présentée par la Mars Gallery (Australie) à Paris Photo 2025. © Siegfried Forster / RFI

En Afrique, elle et sa famille étaient des réfugiées. Aujourd’hui, en Australie, elle travaille beaucoup sur la migration et des thèmes postcoloniaux. Dans son cœur, se sent-elle toujours comme une réfugiée ?

Je ne sais pas si je dirais cela. Je dirais plutôt que dans ces œuvres reflètent ces histoires sur la migration et le passage à l’âge adulte, le passage du temps, les passages que nous traversons tous dans la vie.

Atong Atem fait partie d’environ 400 000 à 500 000 personnes d’origine africaine vivant en Australie. Dans une vidéo, Banksia, elle a travaillé sur la migration africaine vers l’Australie.

Elle a étudié de nombreuses photographies coloniales. Et dans beaucoup de ces images, elle les a mises en scène de la manière dont on s’habillait autrefois, avec des tissus et des vêtements anciens, puis elle les a photographiées. Elle rend ainsi hommage aux photographes ayant travaillé à cette époque. Mais ces œuvres sont bien plus que cela. Ces œuvres traitent en fait du hasard, du hasard de l’avenir du monde. Elles honorent le passé tout en se tournant vers l’avenir.

Pourquoi sa photographie dégage tellement l’esprit d’une peinture ?

En fait, elle s’est spécialisée d’abord en peinture. Et elle peint comme un ange. Quand on regarde ces œuvres, on comprend la façon dont les collages sont construits dans sa photographie qui est ensuite fixée par une impression numérique sur velours. Sa formation en peinture joue un rôle très important dans la construction de l’œuvre, comme un peintre réalisant la sous-couche de sa peinture. Dans les œuvres d’Atong Atem, la sous-couche est la photographie historique.

Elle vit à Melbourne, a fait ses études en Australie, mais lorsqu’on l’interroge sur les influences de son travail photographique, elle cite plutôt Malick Sidibé ou Seydou Keïta. Est-elle plus liée aux artistes africains qu’aux photographes occidentaux ?

Ce n’est pas quelque chose que j’aurais dit. Je vois l’influence de nombreux photographes contemporains, mais je suppose que ce lien historique doit exister.

A gauche, un détail de l’œuvre X de la série « This Happened To You » de l’artiste Atong Atem, présentée par la Mars Gallery (Australie) à Paris Photo 2025.
A gauche, un détail de l’œuvre X de la série « This Happened To You » de l’artiste Atong Atem, présentée par la Mars Gallery (Australie) à Paris Photo 2025. © Siegfried Forster / RFI

En Europe, depuis le début du XXIe siècle, on voit de plus en plus d’artistes africains ou issus de la diaspora africaine dans les galeries, les musées, les salons. Et ils jouent un rôle grandissant dans les mouvements artistiques. Observez-vous également cette tendance en Australie ?

En Australie, je pense qu’Atong Atem est vraiment unique. Beaucoup de gens, lorsqu’ils se rendent à une foire d’art et qu’ils voient le travail d’Atong Atem, découvrent pour la première fois le travail d’une photographe australienne originaire du Soudan du Sud. Elle aborde des sujets très difficiles, et elle ne les évite pas. C’est assez provocateur. Mais je pense que les collectionneurs y sont sensibles. Et c’est ce que nous attendons de nos artistes. Nos artistes doivent parler des problèmes actuels. S’ils ne le font pas, nous ne voyons pas ces thèmes traités par les médias australiens. C’est donc à nos artistes de mener cette action. D’un point de vue commercial, nous ne vendons pas de jolies images. Nous vendons des œuvres qui traitent de problèmes actuels, mais elles le font d’une manière très belle, très esthétique et agréable. Par exemple, si les gens veulent simplement regarder une œuvre où l’on voit trois jolies filles dont chacune, avec grâce, tient une tasse, ils peuvent le faire. Mais s’ils veulent voir beaucoup plus et regarder la peinture sous-jacente, qui est une peinture coloniale représentant une terre volée, alors ils peuvent aussi le faire. Ces œuvres ont différentes couches.

Pour vous, en tant que galerie en Australie, comment se porte le marché de la photographie en Australie ?

C’est très difficile. Les Australiens ne comprennent pas la photographie, contrairement à ici, à Paris. Nous n’avons pas la même tradition de collectionneurs que vous. C’est un marché très nouveau. Et il y a encore cette crainte. J’ai passé beaucoup de temps à éduquer les collectionneurs : oui, les œuvres sont restaurées. Oui, ces velours vieilliront magnifiquement. Nous n’avons pas la même compréhension de la culture que vous. En France, c’est ancré. Notre culture, c’est le sport, le football, sortir avec ses copains… Ce n’est pas visiter un beau musée. Le marché de la photographie en Australie est donc très difficile. Mais je tiens bon, parce que j’aime la photographie.


Atong Atem : This Happened To You, série de l’artiste Atong Atem, présentée par la Mars Gallery (Australie) à Paris Photo 2025, du 13 au 16 novembre 2025 au Grand Palais.

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