Ile Maurice: Une réunion sur fond de divergences sur la vision économique

Outre de veiller à la stabilité du secteur financier et de réguler le crédit et les opérations de change, la Banque de Maurice a deux autres mandats : maintenir la stabilité des prix et préserver la valeur de la roupie. Ce sont là des mandats puissants.

Les techniciens ayant travaillé au ministère du Commerce vous le diront : c’est un véritable casse-tête que d’essayer de réguler les prix à travers des mécanismes de subvention. Bien souvent, malgré les efforts des autorités, les prix ne bougent pas vraiment dans les commerces et le consommateur décèle peu de changement dans son pouvoir d’achat. En revanche, la politique monétaire est un outil puissant qui, quand l’inflation est jugée peu soutenable, permet de stabiliser les prix et de défendre la monnaie locale. Des anciens Gouverneurs vous le confirmeront.

Depuis la présentation du Budget 2025-2026 et l’introduction des mesures d’austérité, l’inflation en glissement annuel a pris une courbe ascendante et reste au-dessus des 4 %. Cet indicateur pointait à 4,1 % en octobre, en légère baisse par rapport aux mois précédents. Un taux qui n’est pas alarmant car l’on reste dans la fourchette des 2 % – 5 % considérée comme soutenable, mais qui dénote que le coût de la vie augmente mois après mois. Dans le même temps, l’économie montre des signes de ralentissement avec la croissance qui devrait tourner autour de 3,1 %, selon les dernières estimations de Statistics Mauritius.

C’est dans ce contexte que le comité de politique monétaire se réunira ce mercredi 12 novembre pour trancher sur le Key Rate actuellement à 4,5 %. Tous les regards sont ainsi braqués sur la Gouverneure de la Banque de Maurice, Priscilla Muthoora Thakoor, qui aura la lourde responsabilité de faire l’arbitrage entre la croissance et l’inflation.


Suivez-nous sur WhatsApp | LinkedIn pour les derniers titres

La Gouverneure se retrouve avec trois options. Primo, elle peut privilégier une politique pro-croissance en assouplissant les conditions monétaires, c’est-à-dire en abaissant le taux directeur. Une telle décision baisserait le taux à l’emprunt et donnerait la possibilité aux entreprises de dégager de la trésorerie pour leurs investissements. Certains analystes diront que le moment est propice car la Réserve fédérale a récemment abaissé ses Fed Funds de 25 points de base. Mais, ce faisant, le risque est qu’il y aura une pression sur la roupie.

Deuxio, la Gouverneure peut opter pour une stratégie de resserrement monétaire. Autrement dit, un relèvement du Key Rate. Une telle politique permettrait de casser quelque peu la pression inflationniste et d’encourager l’épargne. Parallèlement, la roupie prendrait un peu des couleurs.

Depuis le début de l’année, la monnaie locale s’est appréciée de 2,3 % face au dollar, mais c’est surtout la conséquence de la guerre commerciale et de la politique de dollar faible prônée par le président des États-Unis, Donald Trump. En revanche, la roupie s’est dépréciée de 5,7 % face à l’euro. Tertio, Priscilla Muthoora Thakoor peut opter pour le statu quo. Ce qui est sans doute l’option la plus sage dans la conjoncture actuelle.

S’il est important d’aligner la politique monétaire sur la politique fiscale, par contre, la Banque de Maurice se doit de garder son indépendance. On le sait, les ministres des Finances qui se sont succédé ont souvent fait pression sur la Banque de Maurice à l’approche des réunions de politique monétaire. En son temps, l’ancien Gouverneur Rundheersing Bheenick croisait souvent le fer avec le ministre des Finances d’alors, Xavier-Luc Duval, parce qu’il refusait de se plier aux appels pressants du Trésor public pour un assouplissement monétaire.

Il s’était même retrouvé en minorité lors des délibérations du comité de politique. Quant à l’ancien Gouverneur, Harvesh Seegolam, il se murmurait qu’il était loin d’être indépendant et qu’il prenait ses ordres de Renganaden Padayachy.

Première femme Gouverneure, Priscilla Muthoora Thakoor devra faire preuve d’un caractère bien trempé. D’ores et déjà, cette ancienne technocrate du Fonds monétaire international a fait comprendre qu’elle procéderait de manière empirique et que ses décisions seront «data-driven».

Le quotidien L’express nous apprend, par ailleurs, que le Premier ministre et le vice-Premier ministre ne s’accordent plus sur la vision économique, en particulier sur la stratégie monétaire. C’est l’un des points sur lesquels les deux hommes ont des divergences. Pourtant, dans son manifeste plébiscité massivement par l’électorat, l’Alliance du Changement promettait que la lutte contre la vie chère et le rétablissement du pouvoir d’achat faisaient partie de ses priorités absolues.

Aujourd’hui, au pouvoir, il semblerait que Paul Bérenger voit les choses différemment et plaide pour une politique monétaire plus souple et pour que les forces du marché décident de la valeur de la roupie. Faut-il comprendre que nos dirigeants ne s’offusquent plus que la roupie se soit dépréciée de 25 % face aux principales devises depuis 2019 ?

De telles divergences au plus haut sommet de l’État envoient un mauvais signal au marché. Quant à la Banque de Maurice, plus que jamais, ses décisions portant sur la politique monétaire doivent être dictées par le bon sens.

source

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to top
Close