Ile Maurice: Les leçons oubliées de 1983 et 1997 – Le MMM face à son destin

Un an après son retour au pouvoir au sein de l’Alliance du Changement, le Mouvement militant mauricien (MMM) traverse une zone de turbulences politiques. Des dissensions internes fragilisent le parti, certains ministres refusant de suivre leur leader, Paul Bérenger, dans une éventuelle rupture avec le Parti travailliste (PTr). Pour l’historien Jocelyn Chan Low, les tensions actuelles rappellent étrangement les cassures de 1983 et de 1997, deux moments clés de l’histoire politique mauricienne marqués par la désunion après des victoires écrasantes.
Le tête-à-tête entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger et après un Bureau politique mauve agité, a permis d’éviter l’éclatement de l’Alliance du Changement. Mais la méfiance demeure palpable. Plusieurs ministres du MMM ont clairement signifié à leur leader qu’ils n’étaient pas disposés à retourner dans l’opposition après à peine un an au gouvernement.
Certains, dit-on, ont même menacé de démissionner du parti si celui-ci quittait l’alliance. Selon les indiscrétions, le Premier ministre aurait tenté d’apaiser la situation en offrant des garanties à Paul Bérenger sur plusieurs dossiers sensibles et en promettant de se «débarrasser de certains canards boiteux».
1983 : la première rupture, un choc après le 60-0Réunion des démissionnaires le 22 mars 1983.
Suivez-nous sur WhatsApp | LinkedIn pour les derniers titres
Pour l’historien Jocelyn Chan Low, les tensions actuelles rappellent fortement la crise de 1983. Le MMM, alors allié au Parti socialiste mauricien (PSM) d’Harish Boodhoo, avait balayé la scène politique en 1982 avec un historique 60-0. Mais cette victoire s’est vite transformée en fardeau. «Le problème a commencé par des divisions internes, notamment entre Kader Bhayat et Paul Bérenger sur les mesures économiques imposées par le FMI, comme la baisse du prix du riz et d’autres réformes», rappelle l’historien.
Ces désaccords se doublent d’un conflit d’autorité : Harish Boodhoo, vice-Premier ministre, avait limogé le directeur de la MBC proche du MMM, déclenchant une crise ouverte. «Pour restaurer la stabilité, Paul Bérenger a voulu écarter le PSM du gouvernement. Anerood Jugnauth, lui, voulait choisir ses ministres. Cela a créé une série de tensions sur les nominations et la direction du pays», poursuit Chan Low. En moins d’un an, l’alliance s’effondre, et le MMM quitte le gouvernement. Ce départ précipité symbolise le début de l’ère Jugnauth et du MSM, né des cendres du MMM-PSM.
En 1993, sir Anerood Jugnauth avait révoqué Paul Bérenger de ses fonctions de ministre des Affaires étrangères. Toutefois, cette décision n’avait pas entraîné de rupture au sein de l’alliance. Le Bureau politique du MMM avait alors décidé, à l’unanimité, que tous les ministres mauves demeureraient au sein du gouvernement.
1997 : la désillusion du «mariage d’amour» PTr-MMMPaul Bérenger face à la presse le 20 juin 1997, après sa révocation.
L’histoire se répète. En 1995, le PTr et le MMM réalisent un nouveau 60-0, symbolisant l’union retrouvée des deux grandes forces politiques. Mais cette alliance, vantée comme un «mariage d’amour», tourne rapidement au désastre. En juin 1997, Paul Bérenger, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, est révoqué par le président Cassam Uteem, sur recommandation de Navin Ramgoolam.
«En 1997, le problème venait de la manière d’opérer de Navin Ramgoolam», rappelle Chan Low. «Il y avait beaucoup de lenteur dans la prise de décision. Paul Bérenger, lui, voulait aller vite. Quand il remplaçait Ramgoolam comme Premier ministre par intérim, il accélérait les dossiers. Cela a provoqué des frictions.»
Les divergences de style deviennent irréconciliables. Le MMM critique ouvertement le gouvernement sur la question du Law and Order, et les tensions atteignent leur paroxysme lors des célébrations du 1er-Mai, organisées séparément par les deux camps. L’alliance finit par exploser.
2025 : la répétition historique.
Le «mariage d’amour» a été scellé de nouveau en 2024.
En 2025, nouvelle scène, même scénario.Chan Low y voit une «répétition» des années 1983 et 1997. «Quand on a vu la réunion entre les ministres mauves et rouges sans Bérenger et Ramgoolam, cela m’a fait penser à ce qu’on appelait à l’époque la réunion des éléphants», confie-t-il. Les dirigeants cherchaient alors à calmer le jeu, lors de ces rencontres, mais sans jamais résoudre les différends profonds.
«On disait toujours que tout était réglé, mais rien n’avait changé.» Selon lui, la situation actuelle est d’autant plus fragile que le MMM se débat face à une dualité : une base militante fidèle à Bérenger, mais une élite ministérielle désireuse de conserver ses privilèges gouvernementaux. «À chaque cassure du MMM, plusieurs ministres refusent de partir. On l’a vu en 1993. Paul Bérenger finit toujours par reprendre le contrôle du parti, mais il le fait souvent au prix d’une hémorragie interne.»
L’historien s’interroge sur la capacité du leader mauve à maintenir son autorité en 2025. «Est-ce que le comité central du MMM reste entièrement sous son contrôle ? En 1983, il l’était. En 1993, non. Aujourd’hui, la situation est floue. Si certains membres décident de rester au gouvernement, cela pourrait ébranler le leadership de Bérenger.»
Pour Jocelyn Chan Low, deux grands enjeux émergent de ces tensions : la réforme électorale et la succession au sein du MMM. «La réforme électorale avec une dose de proportionnelle est vitale pour le MMM. C’est une revendication historique du parti et elle lui serait favorable. Mais pour la concrétiser, il faut rester au gouvernement. Une rupture mettrait fin à toute possibilité de réforme.» Ce dilemme place Bérenger dans une position délicate : poursuivre la collaboration avec un partenaire affaibli, ou rompre au risque de perdre son influence institutionnelle.
Le deuxième enjeu, plus personnel, est celui de la succession. «À son âge, la question se pose inévitablement», note Chan Low. «Est-ce qu’il veut préparer sa relève depuis le gouvernement, ou partir sur un dernier coup d’éclat dans l’opposition ?» Certains au MMM redoutent qu’en restant dans une alliance impopulaire, le parti ne perde encore davantage de son électorat traditionnel, déjà érodé au fil des décennies. D’autres estiment qu’une rupture, au contraire, permettrait au MMM de se repositionner comme une force d’opposition crédible face à un Parti travailliste usé par le pouvoir.
Cette fragilité politique s’inscrit dans un contexte plus large d’usure du pouvoir. L’Alliance du Changement, formée dans un élan d’unité historique en 2024, a dû faire face à une série de controverses : nominations contestées, réformes économiques douloureuses, et critiques sur le rythme des décisions gouvernementales. Les sondages récents montrent un recul de la popularité de l’exécutif, notamment auprès des jeunes électeurs urbains, autrefois base du MMM.
Chan Low observe que, comme en 1983, «le MMM est pris entre la fidélité à son idéal et la réalité du pouvoir». Et comme en 1997, «la lenteur du leadership travailliste irrite un partenaire plus pressé de laisser son empreinte». «Ce qu’il faut comprendre, dit-il, c’est que Paul Bérenger ne craint pas le départ. Il a toujours su rebondir. Chaque rupture, pour lui, a été une manière de se régénérer politiquement.»
Pour Jocelyn Chan Low, l’histoire se répète toujours avec des nuances : «Les contextes changent, mais les logiques de pouvoir demeurent. En 1983, c’était la question des nominations et du contrôle du cabinet. En 1997, c’était le style de leadership. En 2025, ce sont les mêmes ressorts : autorité, rythme de décision et vision de l’avenir.»


