Violences post-électorales en Tanzanie: le difficile décompte des victimes

Une semaine après les violences post-électorales en Tanzanie, le flou demeure sur le nombre de victimes. Aucune autorité ne s’est exprimée, tandis que des familles recherchent toujours leurs proches. Sur les réseaux, les images de corps empilés et les témoignages d’horreur se multiplient.

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La Tanzanie reste sous le choc des violences qui ont émaillé le scrutin national contesté qui a vu la présidente Samia Suluhu Hassan reconduite à son poste. Premier indice sur l’ampleur du drame : les vidéos en ligne, montrant des corps empilés, des rues désertes, des cris étouffés. C’est là, sur les réseaux sociaux et les sites web, que les Tanzaniens racontent ce que l’État tait.

Pour tenter de mesurer les violences, une militante des droits humains – qui préfère garder l’anonymat – a mis en place un système de collecte d’informations : bases de noms, formulaires de signalement, recensement des fosses communes… « Nous essayons de documenter les disparus, les tués, les blessés… Mais c’est difficile, explique-t-elle. Dans certaines morgues, les corps ont disparu du jour au lendemain. Les familles avaient payé pour leur conservation, puis, quand elles reviennent les chercher, il n’y a plus rien. »

Selon elle, certains certificats de décès ont été falsifiés : « On leur dit que leur proche est mort du diabète. Jamais d’une balle. » La militante accuse directement le gouvernement de « voler les corps » pour effacer les preuves du massacre. « Nous recevons chaque jour de nouveaux noms, explique-t-elle. Mais beaucoup ont peur de parler. »

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Une peur bien réelle

Des descentes de police ont été signalées dans plusieurs quartiers de Dar es Salaam, d’Arusha et de Mbeya, visant des jeunes perçus comme proches de l’opposition. Dans un communiqué publié vendredi 7 novembre, le Legal and Human Rights Centre (LHRC) et six autres ONG dénoncent des « représailles contre des civils », évoquant des exécutions sommaires, des arrestations arbitraires et des « attaques dans les foyers » de personnes soupçonnées de sympathie avec le principal parti d’opposition, Chadema.

Ces ONG réclament une enquête indépendante, la libération des détenus et le droit pour les familles d’accéder aux dépouilles de leurs proches. Leur communiqué fait écho à de nombreux témoignages recueillis ces derniers jours, comme celui d’une jeune femme à Dar es Salaam. Son compagnon a été tué le jour du scrutin. Depuis, elle cherche son corps.

« On nous a dit qu’il avait été transféré à la morgue, raconte-t-elle. Son frère a fait le tour de plusieurs hôpitaux, sans jamais le retrouver. À la fin, un officier lui a dit :  »Rentrez chez vous et priez pour lui. Certains corps ont été enterrés par le gouvernement. » » Pour ce témoin, impossible de faire son deuil : « Il était musulman. On a l’impression qu’il a été enterré comme un animal, sans être lavé, encore couvert de sang. » Son témoignage rejoint celui d’autres familles, qui affirment que des corps ont été exhumés après avoir été enterrés par leurs proches.

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Une répression d’une ampleur inédite

Pour la chercheuse Micaela Collord, spécialiste de la Tanzanie à l’université de Manchester, cette vague de violence dépasse tout ce que le pays a connu ces dernières décennies : « Ce n’est pas seulement l’opposition qui est visée, mais aussi des civils ordinaires. Des gens ont été tués en allant chercher du pain ou de la nourriture, pendant ce qu’ils croyaient être des heures calmes. »

Elle décrit un climat de peur, où les citoyens hésitent à parler : « La répression n’a jamais été aussi indiscriminée. » Un observateur de l’Union africaine, présent lors du scrutin, raconte pour sa part un « blackout total » : coupure d’internet, couvre-feu, interdiction de circuler après le vote… « On ne parlait pas de l’élection, même dans les rues. Le silence était pesant. »

Le silence des autorités, un pays traumatisé

Aucun bilan officiel n’a été communiqué. Le principal parti d’opposition, Chadema, évoque plus de 2 000 morts, mais aucune organisation internationale n’a confirmé ce chiffre. Human Rights Watch ou Amnesty International se contentent de reprendre les estimations locales, sans les endosser.

Les autorités, elles, gardent le silence. Seule la présidente, Samia Suluhu Hassan, a brièvement évoqué des « troubles fomentés par des étrangers », sans mentionner les victimes tanzaniennes.

Le bilan reste difficile à vérifier, et pourrait s’alourdir à mesure que la lumière sera faite sur les exactions. Mais au-delà des chiffres, le choc humain est immense. Pour la chercheuse Micaela Collord, « ce n’est pas seulement la perte de vies humaines : c’est un pays tout entier qu’il faudra des années à reconstruire, tant la peur et la méfiance se sont installées ».

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