Madagascar: à Diego Suarez, tensions et violences au sujet de logements étudiants

Un mort, plusieurs blessés et des bâtiments incendiés : à Diego Suarez, ville du nord de Madagascar, l’expulsion de non-étudiants hors du campus d’Antsiranana a viré à de violents affrontements ce week-end. Des étudiants et des jeunes de quartiers se sont affrontés, avec des prises d’otages de part et d’autre. Des violences qui ravivent la crainte d’une réapparition des « foroches », ces bandes organisées munies d’armes blanches, composées de très jeunes délinquants, payés pour servir les intérêts de quelques-uns. En réaction, les autorités ont instauré un couvre-feu et déployé l’armée autour du campus, tandis qu’une enquête est ouverte sur ces violences meurtrières.

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Avec notre correspondante à Antananarivo, Sarah Tétaud

Ce week-end, des heurts violents entre des étudiants de l’Université d’Antsiranana, dans le nord de Madagascar, et un groupe de jeunes, armés de machettes et de pierres, ont fait un mort — un adolescent de 15 ans — et plusieurs blessés. Deux logements étudiants ont été incendiés.

À l’origine de la crise, l’exaspération de plusieurs associations estudiantines face à l’occupation illégale des dortoirs réservés normalement aux étudiants par du personnel administratif et technique de l’université, et ce, depuis plusieurs années. Il y a deux semaines, ces associations avaient lancé un ultimatum aux « squatteurs » en distribuant des avis d’expulsion.

Ce week-end, face au refus de quitter les lieux, la tension a dégénéré en affrontements. Selon la préfecture, les agresseurs — présentés comme des « foroches » — auraient été engagés pour défendre les occupants.

En réponse, les autorités ont instauré un couvre-feu de 20h à 4h et déployé des éléments des forces de défense autour du campus. Une enquête a été ouverte sur le décès signalé. Dépêché sur place et accompagné de plusieurs ministres, le Haut conseiller à la Refondation, le colonel Lucien Rabearimanana, a annoncé la rénovation des logements universitaires, l’installation prochaine de panneaux solaires, un forage pour l’adduction d’eau et le paiement de deux des trois mois de retard de bourses.

Les campus, véritables poudrières sociales

Ce lundi, une réunion de réconciliation a eu lieu entre les différents acteurs et en présence des autorités et des notables. La question de l’occupation illégale des lieux n’a toutefois pas été abordée.

Ces violences interviennent dans un climat tendu au sein des cités universitaires d’Antsiranana et d’Ankatso, à Antananarivo. Les autorités du nouveau régime ont indiqué leur volonté d’assainir la gestion opaque des logements sur les campus, en expulsant notamment les non-étudiants et en détruisant les constructions illégales.

Si ces « nettoyages » visent à rétablir l’ordre et la transparence dans des bâtiments surpeuplés et insalubres, ils révèlent aussi l’ampleur de la crise du logement étudiant, qui font de ces campus, des poudrières sociales.

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«Ce qui s’est passé à Diego Suarez, ce ne sont pas des « foroches », ce sont des jeunes chômeurs»

Depuis ce week-end, l’appellation « foroche » est revenue massivement dans les médias et dans la bouche des autorités. « Foroche », malgachisation phonétique de féroce et de force, pour désigner les jeunes qui sont venus affronter les étudiants. Ce terme fait référence à une bande organisée qui a vu le jour en 2006. Mais pour l’historien Issouf Heridiny, spécialiste de Diego Suarez, penser que les violences de ce week-end ont été commises par les foroches, est erroné. Pour lui, ce phénomène se cantonne à une période bien définie dans le temps. « Ce phénomène, à vrai dire, a explosé dans les années 2000. D’après moi, la source d’inspiration a été le film La Cité de Dieu, réalisé par Fernando Meirelles et Kátia Lund. Ce film a réussi à faire monter la rage chez ces mineurs de ghettos défavorisés de Diego Suarez. La marque de fabrique de ces jeunes délinquants sont les couteaux pointus. Bien sûr, d’autres gangs ont poussé comme des (mauvaises) herbes aussi dans les quartiers entre 2006 et 2007. Au début, ce n’étaient pas des mercenaires. C’étaient des bandes, entre quartiers. Mais à la fin de 2008 et début 2009, on les a payés pour déstabiliser le régime de Marc Ravalomanana [président de Madagascar, de 2002 à 2009, NDLR] à Diego, pour montrer que le régime n’arrivait pas à contrôler ni assurer la sécurité ».

Il poursuit : « Entre 2010 et 2016, il y a eu l’avènement du Tuk-Tuk, le moyen de transport (à 3 roues), à Diego Suarez. Et ces foroches de 2006 ont grandi, ils sont devenus des pères de famille qui en ont eu marre de commettre des crimes. Les sanctions exemplaires des forces de l’ordre ont aussi mis un sacré coup au phénomène. Alors, ils se sont mis à travailler et beaucoup sont devenus chauffeurs de tuk-tuk. Ils disent à la jeune génération : « Ne faites pas ce que nous avons fait.« . »

Issouf Heridiny conclut : « Il ne faut pas faire l’amalgame. Ce qui s’est passé à Diego ce week-end, ce ne sont pas des foroches, ce sont des jeunes chômeurs, la plupart qui ont besoin d’argent pour survivre. Pour moi, les foroches de 2006 n’ont pas transmis ce mauvais flambeau. Ce week-end, c’était un affrontement entre les jeunes de Lazaret Nord [un des quartiers les plus vastes de la commune d’Antsiranana, NDLR] et les étudiants qui résident dans le campus, avec des intérêts différents. Certes, il y a un héritage qui perdure timidement, mais le phénomène foroche aujourd’hui, c’est un phénomène révolu qui relève historiquement des années 2000. »

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