Double assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon: l’espoir que le temps délie les langues

Il y a douze ans, le 2 novembre 2013, nos confrères de RFI, envoyés spéciaux à Kidal au nord du Mali, étaient enlevés puis assassinés. Un rapt et des crimes revendiqués par al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Mercredi 29 octobre 2025, les proches de nos deux confrères qui ont créé l’association « Les amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon » – parties civiles dans ce dossier – ont fait un point sur les derniers éléments de l’enquête, sur les demandes judiciaires en cours et sur leur espoir, toujours réaffirmé, de connaître, un jour, la vérité sur ces assassinats.
C’est au sein de la symbolique Maison des journalistes, lieu d’accueil de confrères en exil, dans le 15e arrondissement de Paris, que s’est déroulée la conférence de presse.
« Douze ans, cela pourrait être le temps du désintérêt, de la lassitude, de la perte d’espoir et du renoncement. Mais nous ne renonçons pas. Nous continuons de croire que tous ceux qui ont été marqués par cette tragédie pourront aider à éclairer les zones d’ombre qui persistent », a introduit Danielle Gonod, présidente de l’association Les Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
À ses côtés, Maître Marie Dosé, avocate des familles, a expliqué les dernières évolutions de ce dossier – devenu tentaculaire avec le temps – et réaffirmé les priorités des parties civiles, notamment que des mandats d’arrêt internationaux soient émis à l’encontre des deux derniers acteurs vivants de ce dossier : le commanditaire présumé, le jihadiste Seidane Ag Hitta et Hamadi Ag Mohamed, le quatrième membre du commando.
« Il faut réussir, un jour, à émettre des mandats d’arrêt internationaux », a déclaré l’avocate avant d’ajouter « et surtout faire en sorte que les deux survivants de ce commando puissent être amenés devant des magistrats, en France. »
Malgré l’arrêt de la coopération judiciaire entre la France et le Mali, les parties civiles attendent du nouveau magistrat – le troisième à instruire ce dossier, le juge Valéry Muller – qu’il enquête sur de possibles complicités entre des cadres des mouvements indépendantistes touaregs et le commando des ravisseurs.
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L’énigme Cheikh Ag Haoussa
Un nom a été maintes fois répété durant ce point presse, celui de Cheikh Ag Haoussa. Soixante-douze heures avant leurs enlèvements, le 30 octobre 2013, Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont rencontré cette figure de la communauté touareg de Kidal pour une interview.
Après cet entretien, lors d’un échange avec sa rédaction en chef, la journaliste évoque un homme « glaçant et terrifiant ».
Pour les parties civiles, le juge d’instruction doit pousser ses investigations sur le rôle éventuel de ce leader, autant charismatique que sulfureux, car il a été vu, explique Danielle Gonod, plusieurs fois, avec Baye Ag Bakabo, le chef du commando : « C’est une nouveauté, dans ce dossier, que nous avons grâce à la téléphonie et grâce aux témoignages qui parlent de la présence de Cheikh Ag Haoussa et de Baye Ag Bakabo dans le même véhicule, pendant les jours qui ont précédé l’enlèvement, et le matin même de l’enlèvement, pendant deux heures, devant le camp de la force de l’ONU, la Minusma ».
Ces liens entre les deux hommes interrogent particulièrement l’avocate Marie Dosé, car en 2013, Cheikh Ag Haoussa est aussi connu pour ses liens étroits avec les forces en présence à Kidal, à savoir les cadres militaires des Nations unies et ceux de l’armée française.
Vu avec le chef du commando, le matin, Cheikh Ag Haoussa a un autre lien avec cette journée, explique Marie Dosé : « Ce même 2 novembre 2013, après le double assassinat, il a été appelé par les forces françaises sur les lieux du crime pour reconnaître le véhicule des ravisseurs et l’identité de son propriétaire. Donc, ce personnage, nous nous y intéressons particulièrement et nous demandons au magistrat instructeur de s’y intéresser également. »
Cheikh Ag Aoussa a trouvé la mort, à la suite de l’explosion de sa voiture, le 8 octobre 2016, alors qu’il sortait d’une réunion au camp de la Minusma, à Kidal. Ses proches ont toujours affirmé que son véhicule avait été piégé à l’intérieur de la base onusienne.
Pour les parties civiles, la priorité est d’obtenir la levée du secret défense sur des éléments, des notes ou des rapports de la Minusma et de l’armée française dans lesquels Cheikh Ag Haoussa serait cité.
Le secret défense « nid à fantasmes »
Dans l’enquête sur ce double assassinat, si des pièces ont été déclassifiées sur les actions menées par l’armée française, le 2 novembre, et ont permis des avancées, d’autres éléments ont été « caviardés », c’est-à-dire raturés et sont donc difficilement compréhensibles.
Pour Danielle Gonod, les refus répétés de la levée du secret défense sont le nœud de cette affaire judiciaire : « Depuis le début, nous demandons la déclassification des rapports du 2 novembre de l’armée française, des forces spéciales. On nous dit que ces rapports n’existent pas et que nous demandons donc quelque chose que l’on ne peut pas obtenir, car ils n’existent pas. C’est effrayant et désastreux pour l’avancement de la vérité, car plus vous cachez de choses, plus vous pouvez imaginer n’importe quoi. C’est une usine à fantasmes, ce silence. »
Dans ce sens, lors de la conférence de presse, Maître Marie Dosé a ainsi évoqué une déclaration faite, en 2016, devant des membres de l’association Les amis de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, par Jean-Yves Le Drian, qui était ministre de la Défense, en 2013 : « Ils [Ghislaine Dupont et Claude Verlon] ont été trahis. Cette phrase de Jean-Yves le Drian résonne encore en nous. Nous voulons savoir qui a trahi qui et dans quelles circonstances ? ».
Les parties civiles espèrent donc de nouvelles déclassifications pour permettre au juge d’instruction d’enquêter sur d’éventuelles complicités, sur des ramifications entre des responsables locaux comme Cheikh Ag Haoussa, les commanditaires des enlèvements et le commando des ravisseurs.
Le dernier acte judiciaire posé par les parties civiles va d’ailleurs dans ce sens. En octobre, elles ont demandé la levée du secret défense en France pour Mohammed Ag Hellah, membre présumé du groupe jihadiste Ansar Dine et chef d’un campement où les ravisseurs auraient pu se replier, à moto, après le double assassinat.
Après douze ans d’enquête, des zones d’ombre planent donc toujours sur les assassinats de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, mais l’avocate Marie Dosé garde espoir et estime que le temps peut permettre des avancées : « Le temps permet aux uns et aux autres de parler, surtout ceux qui ont peur. Donc, il faut faire confiance au temps et il faut continuer à travailler. »
► Notre dossier sur l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon



