Ile Maurice: Un engagement collectif pour restaurer la dignité

Le 17 octobre, le monde a célébré la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, placée, cette année, sous le thème «Mettre fin à la maltraitance sociale et institutionnelle en garantissant le respect et un soutien efficace aux familles.»

Un message fort, qui rappelle que la pauvreté ne se limite pas à un manque de ressources : elle constitue une atteinte à la dignité humaine, un échec collectif qui appelle à une réflexion sur la manière dont nos sociétés accompagnent ou abandonnent les plus vulnérables.

Une pauvreté persistante derrière les apparences

Officiellement, selon plusieurs institutions internationales, Maurice aurait éradiqué la pauvreté extrême. Mais sur le terrain, les organisations non gouvernementales (ONG) décrivent une réalité bien différente : une pauvreté tenace, souvent invisible, qui se manifeste désormais sous d’autres formes : emplois précaires, logements insalubres, isolement social et difficultés d’accès à l’éducation.


Suivez-nous sur WhatsApp | LinkedIn pour les derniers titres

L’imam Arshad Joomun, de l’ONG MKids, en témoigne : «De nombreuses familles font d’immenses efforts mais restent piégées par le coût de la vie et un marché du travail instable.»

Certaines se tournent vers les jeux de hasard, espérant une issue illusoire tandis que d’autres s’endettent pour maintenir un train de vie devenu insoutenable. Cette tension entre désir d’émancipation et réalité économique engendre une profonde fatigue sociale, qui mine la cohésion du pays.

Pour Marlène Ladine, de l’ONG Le Pont du Tamarinier, la pauvreté ne se réduit plus à la misère matérielle. «Elle est aussi humaine, morale et relationnelle.» Les familles s’épuisent, isolées dans leur lutte quotidienne.

Priscilla Bignoux, du Groupement Social de Souillac, observe que si certaines zones rurales progressent, les inégalités persistent. «La pauvreté reste économique, éducative et structurelle.» Aux difficultés matérielles s’ajoutent la violence domestique, la promiscuité, le vieillissement de la population et les ravages de la drogue, qui amplifient la précarité.

Patricia Adèle-Félicité, de Caritas, alerte sur la montée des dépendances. «La toxicomanie détruit des familles entières et change le visage des sans-abri, désormais composés de parents et d’enfants.»

Des organisations bâtisseuses de dignité et d’autonomie

Face à cette réalité, les ONG demeurent les gardiennes silencieuses de la solidarité nationale. Elles oeuvrent chaque jour, avec des moyens limités mais une détermination sans faille, pour redonner espoir et stabilité à ceux qui en ont le plus besoin.

Leur conviction commune est claire : l’éducation demeure le levier le plus puissant pour briser le cycle de la pauvreté. S’inspirant de Nelson Mandela, Priscilla Bignoux le rappelle, «L’éducation est la meilleure arme pour changer le monde.» C’est dans cet esprit que son organisation, comme bien d’autres, met en place des programmes de soutien scolaire et distribue du matériel éducatif afin de donner à chaque enfant les moyens de réussir.

Chez Lovebridge, dirigée par Sabrina Puddoo, l’action repose sur six piliers d’accompagnement familial : soutien psychologique, encadrement scolaire, aide à l’emploi, développement personnel, suivi social et autonomisation. L’ONG mise sur la prévention : visites d’entreprises, ateliers et accompagnement personnalisé aident les jeunes à se projeter dans l’avenir. «Il faut les exposer à d’autres opportunités», souligne Sabrina Puddoo, convaincue que l’ouverture sur le monde protège de la marginalisation et des dérives sociales.

De son côté, MKids s’attaque à la pauvreté infantile à travers le programme Share a Meal en offrant chaque jour repas et accompagnement scolaire à une cinquantaine d’enfants. Depuis 2019, l’association accorde une attention particulière à la santé mentale pour renforcer la résilience, la solidarité et l’estime de soi des plus jeunes.

Le droit au logement : Un combat de longue haleine

Depuis plus de 20 ans, Le Pont du Tamarinier s’engage pour le droit au logement, un pilier fondamental de la dignité humaine. Son manager, Marlène Ladine, décrit une mission complexe. «C’est une tâche ardue, surtout lorsque des familles vivent depuis plusieurs générations sur des terrains privés, qui ne leur appartiennent pas. Un compromis doit être trouvé entre l’État et le propriétaire légal pour régulariser leur situation.»

Mais l’action de l’organisation dépasse la simple construction d’habitations. Elle accompagne les familles dans un processus d’insertion sociale globale, misant sur la formation, la responsabilisation et l’autonomie. Car, comme le rappelle Marlène Ladine, «reconstruire une vie est souvent plus difficile que bâtir une maison.»

Malgré leur rôle essentiel, les ONG travaillent avec des moyens dérisoires. Leurs actions dépendent de dons irréguliers et de financements précaires tandis que leur reconnaissance institutionnelle demeure limitée. Pourtant, sans elles, des centaines de familles seraient condamnées à l’exclusion.

Les obstacles à la sortie de la pauvreté

Les freins à la sortie de la pauvreté sont nombreux et interdépendants. Selon Caritas, les plus urgents concernent l’emploi stable, le logement décent, la toxicomanie et la désintégration de la cellule familiale. Pour Lovebridge, la clé réside dans une coordination nationale efficace, réunissant l’État, le secteur privé et les ONG autour d’une stratégie commune.

L’imam Arshad Joomun plaide pour une réforme en profondeur. «Il faut une éducation de qualité, un système de santé inclusif, des emplois décents et une réelle participation des ONG aux décisions publiques.»

Marlène Ladine insiste, elle, sur la nécessité d’un accompagnement personnalisé des bénéficiaires d’aides sociales «Les allocations sans suivi ne font que prolonger la précarité.» Lutter contre la pauvreté, c’est avant tout écouter, former et autonomiser plutôt que d’entretenir la dépendance.

Vers une approche intégrée et humaine

Pour être efficace, la lutte contre la pauvreté doit s’appuyer sur une approche holistique et centrée sur la personne et non sur les chiffres. Pour cela, les ONG préconisent :

· Leur reconnaissance en tant que partenaires stratégiques des politiques publiques et non comme de simples exécutantes.

· La garantie d’un financement stable et transparent, pour transformer la charité en véritable projet de développement humain.

· Le renforcement de la coordination entre l’État, le privé et la société civile afin d’éviter les redondances et d’amplifier les résultats.

· L’investissement massif dans l’enfance et la jeunesse, véritables piliers d’un avenir plus équitable.

· La réforme des aides sociales pour favoriser la responsabilisation plutôt que la dépendance.

Ces propositions nécessitent une volonté politique forte et une mobilisation citoyenne durable. La pauvreté n’est pas une fatalité mais un défi collectif à relever avec cohérence et humanité.

Marlène Ladine, Patricia Adèle-Félicité, l’imam Arshad Joomun, Priscilla Bignoux et Sabrina Puddoo.

Une société se mesure à sa capacité d’inclusion

Les ONG rappellent que l’élimination de la pauvreté n’est pas un idéal utopique mais une responsabilité partagée. Elle exige une société qui écoute, soutient et agit avec cohérence. Mettre fin à la pauvreté, c’est reconnaître la valeur de chaque être humain, bâtir un pays où nul n’est laissé-pour-compte et où la solidarité s’exprime en actes et non en discours. C’est là, sans doute, le véritable visage du progrès.

source

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to top
Close