Sénégal: un collectif s’indigne face à l'absence de femmes dans les nouveaux noms de rue de Dakar

Au Sénégal, une campagne en ligne a été lancée pour rendre les figures féminines qui ont marqué l’histoire du pays plus visibles. C’est l’idée lancée par le collectif de femmes Ci La Nu Bokk. Car il y a une semaine, l’organisation se dit choquée de voir que, parmi les neuf rues et avenues de la capitale qui avaient été rebaptisées en septembre, aucun nom de femme n’y figure.
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Avec notre correspondante à Dakar, Léa-Lisa Westerhoff
Dans le centre-ville historique de la capitale du Sénégal, seules deux rues portent pour l’heure le nom d’une femme. Lorsque, début septembre, la mairie du quartier plateau a annoncé rebaptiser neuf axes sans qu’une seule femme n’y figure, la réaction ne s’est pas fait attendre.
Un collectif de femmes baptisé Ci La Nu Bokk (« on est là », en wolof), une plateforme avec plus de 1 000 femmes et une soixantaine d’associations, a décidé de se mobiliser et a écrit au maire et au préfet de Dakar.
Des Sénégalaises émérites mises à l’honneur
« Cela nous a choquées, interloquées. Nous avons décidé de documenter, commenter des archives, de faire des biographies de toutes les valeureuses femmes, comme Adja Arame Diène, qui a été la première femme députée qui parlait wolof à l’Assemblée nationale, ou Amy Mbacke-Thiam, qui a été la première Sénégalaise championne du monde d’athlétisme », explique Diabou Bessane Diouf, membre de Ci La Nu Bokk.
Pour corriger ce déséquilibre historique, depuis une semaine, chaque jour, quatre portraits de Sénégalaises émérites sont postés sur les réseaux sociaux du collectif sur leurs comptes Facebook, X et LinkedIn.
Du côté de la mairie du plateau, le troisième adjoint Baba Touré assure qu’une commission est en train d’étudier toute une série de noms, y compris certains de femmes. « Il reste 92 rues qu’on doit baptiser. Il y a presque 50 noms de femmes qu’on nous a proposés. Ça va se faire bientôt, mais il faut qu’on étudie les noms qu’on va donner pour les rues », assure-t-il.
« Une rupture nécessite une réflexion portée par les historiens et les sociologues »
Le professeur d’histoire à l’Université Cheikh Anta Diop, Ibrahima Thioub, dénonce une double invisibilisation : celle des femmes, mais aussi des hommes de savoir. Il appelle à une réflexion plus large et plus démocratique sur le changement des noms de rues.
« Les femmes sont très invisibilisées. À Dakar, jusque dans les années 1970, il n’y a qu’une seule rue qui porte le nom d’une femme. Ça doit être la rue la plus courte du monde, elle fait 7,50 mètres ! Du côté des hommes de savoir, il y en a très peu. Cela révèle la nature de la mémoire dominante dans le récit national, analyse-t-il. C’est une mémoire étatiste, guerrière, patriarcale, qui met donc nécessairement en avant des noms d’hommes qui se sont illustrés dans une guerre. Ça exclut les femmes et survalorise le politique. Il y a nécessité d’aller vers une rupture. Mais cette rupture nécessite une réflexion portée par les historiens et les sociologues. Ça ne signifie pas imposer des noms, mais juste rendre visible. Tout est possible. »
La mairie de Dakar promet un prochain rendez-vous pour « rebaptiser » une quinzaine de rues en janvier prochain, promet la mairie.
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