Afrique: La CAN Féminine 2024 a consacré l'essor du football féminin africain

Alors que le football féminin a connu une croissance sans précédent, la Coupe d’Afrique des Nations Féminine CAF TotalEnergies 2024, organisée au Maroc, a illustré de manière éclatante l’évolution spectaculaire de la discipline sur le continent africain. Pour sa 13e édition, la compétition phare de la CAF a mis en lumière de nets progrès : une flexibilité tactique accrue, un rôle déterminant des gardiennes, et un recours renforcé à la technologie dans l’analyse des matchs, avant, pendant et après les rencontres.

Pour la deuxième fois consécutive, douze équipes – contre huit de 1998 à 2018 – ont participé au tournoi. Ce changement d’échelle a traduit une amélioration marquée de la qualité de jeu, désormais alignée sur les standards internationaux.

Avec des stars reconnues comme la Nigériane Asisat Oshoala, six fois Joueuse Africaine de l’Année, Barbra Banda (Zambie), sacrée en 2024 du même prix, sa compatriote Racheal Kundananji — devenue en 2024 la transfuge la plus chère du football mondial — ou encore la Sud-Africaine Jermaine Seoposenwe, championne du Mexique, cette édition a atteint un niveau inédit.

Un quatuor d’expertes au cœur de l’analyse

Le groupe d’étude technique de la CAF, chargé d’analyser les 42 matchs disputés, a réuni quatre figures majeures du football féminin africain : Clémentine Touré (Côte d’Ivoire, lauréate de la CAN Féminine 2008 avec la Guinée équatoriale), Lamia Boumehdi (championne de la Ligue des Champions Féminine de la CAF 2024 avec le TP Mazembe), Jacqueline Shipanga (directrice technique nationale de Namibie) et Shilene Booysen (formatrice CAF, ancienne analyste de l’Afrique du Sud et ex-sélectionneuse du Soudan du Sud).

De la marche à la course : l’Afrique a changé de rythme

« Le football féminin africain a grandi comme un enfant : il a d’abord rampé, puis il a marché, et maintenant il court », a résumé Clémentine Touré. Et cette course, désormais, se fait au même rythme que celle des autres continents. Les publics ont suivi, les stars ont émergé, et la CAN Féminine s’est imposée comme un événement majeur.

L’Ivoirienne s’est souvenue de l’édition 2008, qu’elle avait remportée avec la Guinée équatoriale, première équipe non-nigériane sacrée — jusqu’à l’exploit sud-africain de 2022. « À l’époque, il n’y avait que huit équipes. C’était toujours le Nigeria qui gagnait. Aujourd’hui, tout a changé. Les entraîneurs communiquent entre eux, les femmes sont présentes dans l’organisation, les médias, la sécurité… et, enfin, la compétition est télévisée », s’est-elle réjouie.

Un football devenu plus tactique, plus physique, plus intelligent

Clementine Touré a constaté une nette évolution : « Les styles de jeu se sont diversifiés, les joueuses sont devenues plus polyvalentes. Certaines passent d’attaquante à ailière droit ou gauche en cours de match. Les systèmes de jeu varient également dans une même rencontre. Et les gardiennes sont devenues essentielles. L’exemple du Botswana avec Maitumelo Bosija est frappant : elles gèrent les espaces, les ballons aériens et organisent la ligne défensive. »

De l’individualité à la force du collectif

« Avant, les équipes misaient tout sur une ou deux stars », a rappelé Jacqueline Shipanga, la seule femme directrice technique nationale en Afrique. « Aujourd’hui, c’est le collectif qui prime. Bien sûr, Barbra Banda, Rasheedat Ajibade ou Esther Okoronkwo sont brillantes. Mais le Ghana, par exemple, ne dépend plus d’une joueuse. Même le Nigeria repose sur une organisation défensive bien structurée. »

Les remplaçantes ont également eu un rôle déterminant. « On a vu des entrées décisives, comme celle de Sanaa Msoudy pour le Maroc. Les entraîneurs ont su s’adapter aux profils. Et les binationales, formées très jeunes dans des championnats structurés, ont apporté une réelle valeur ajoutée », a-t-elle analysé.

La Ligue des Champions Féminine, le tremplin essentiel pour les talents

Lamia Boumehdi, première femme à remporter la Ligue des Champions Féminine de la CAF avec le Tout Puissant Mazembe, a insisté sur son impact : « Il n’y a pas de développement sans compétition. Cette Ligue des Champions a permis à nos joueuses d’atteindre un haut niveau d’exigence. Et cela s’est vu à la CAN Féminine : leur condition physique s’est nettement améliorée. »

Des joueuses comme Merveille Kanjinga (passée du TP Mazembe au PSG, puis à la sélection congolaise) ou Evelyn Badu (Ghana) ont illustré ce pont entre l’élite continentale et les grands clubs européens.

L’analyse vidéo a transformé la stratégie

Il est désormais impossible de contourner la technologie dans le football. Cette édition de la CAN Féminine au Maroc a été marquée par une utilisation accrue des outils technologiques : recours à des analystes vidéo dans la préparation des matchs, communication directe pendant les rencontres entre les analystes positionnés en tribune et le banc technique, ou encore prises de décisions à la mi-temps sur la base de données précises.

« Ma spécialité, c’est la data. Et quand je regarde ce tournoi, il est devenu indispensable d’en faire usage. Elle joue un rôle fondamental. Je ne peux pas imaginer un sélectionneur envoyer ses joueuses au combat sans informations solides. Prenons le plan de jeu mis en place par le Sénégal face à l’Afrique du Sud en quart de finale : on voyait clairement qu’ils savaient comment neutraliser les Banyana Banyana. Ils leur ont rendu la tâche très difficile », a expliqué l’ancienne analyste de performance de la sélection sud-africaine.

« Le Sénégal savait exactement qui allait faire basculer le match côté sud-africain. C’est devenu essentiel. Si je repense à la CAN Féminine 2016, j’étais la seule analyste de performance présente. Puis les choses ont commencé à évoluer. En 2019, lors de notre préparation pour la Coupe du Monde en France, la CAF nous a soutenus en matière de données. En 2023, avant le Mondial en Australie et en Nouvelle-Zélande, nous avons bénéficié de l’aide d’une entreprise spécialisée. Résultat : trois des quatre équipes africaines engagées ont atteint les huitièmes de finale (le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Maroc, pour sa première participation). Cela aurait été impensable sans l’analyse des données. La préparation des matchs, notamment lors des grandes compétitions, exige une planification rigoureuse. C’est réjouissant de voir que les sélections mesurent désormais l’importance des données. »

Booysen précise que les sélectionneurs engagés dans cette CAN Féminine ont voulu s’assurer que les joueuses respectaient les consignes établies avant la rencontre et que le plan de jeu était appliqué à la lettre. « Si l’analyste repérait une faille, il ou elle devait en informer le banc technique. Cela pouvait concerner une joueuse oubliée dans le marquage ou une autre qui n’appliquait pas correctement les consignes. En réalité, l’analyste pouvait même fournir des extraits vidéo aux entraîneurs afin qu’ils puissent réévaluer la situation. »

« Le football, c’est la victoire avant tout. Regardez l’exemple de l’Afrique du Sud qui a dû procéder à deux changements forcés en demi-finale contre le Nigeria, après les blessures de deux titulaires (remplacées par Hildah Magaia et Noxolo Cesane). Comment cela a-t-il modifié leur plan initial ? L’analyste, depuis les tribunes, a une meilleure vue d’ensemble sur la rencontre. Il ou elle peut donc anticiper, ajuster et alerter plus rapidement. »

La visibilité des sélectionneuses

Lors de cette édition 2024 de la CAN Féminine, seules deux sélectionneuses principales figuraient sur les bancs : Desiree Ellis, vainqueure en 2022 avec l’Afrique du Sud, et la Suissesse Nora Häuptle avec la Zambie. Une réalité que regrette Simphiwe Dludlu, pour qui la place des femmes dans les fonctions techniques doit être renforcée.

« Si nous voulons progresser, c’est un point qu’il faut améliorer. Les fédérations doivent identifier les domaines dans lesquels elles souhaitent se développer. Si l’on regarde l’Euro, 44 % des sélectionneurs sont des femmes. Ici, nous ne sommes qu’à 15 %, soit deux coachs. Pourtant, il y a plusieurs adjointes. Les hommes jouent un rôle important dans le football féminin, mais les femmes aussi. Que peut-on leur demander de plus ? Lorsqu’on regarde le nombre de femmes titulaires d’une licence CAF A, elles sont nombreuses. Les fédérations doivent se remettre en question pour faire mieux. Si nous voulons changer le récit, les techniciennes sont là. C’est aux fédérations de faire le choix. En Afrique du Sud, toutes nos équipes féminines sont entraînées par des femmes. »

Depuis la création de la Coupe d’Afrique des Nations Féminine CAF en 1998, seules trois femmes ont remporté le trophée en tant que sélectionneuses principales : Clémentine Touré avec la Guinée équatoriale en 2008, Florence Omagbemi avec le Nigeria en 2016, et Desiree Ellis avec l’Afrique du Sud en 2022.

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