«Histoire générale de l’Afrique»: l’achèvement d’une immense fresque historique portée par l’Unesco

L’Unesco présente vendredi 17 octobre les trois derniers volumes de l’Histoire générale de l’Afrique, un travail de refondation du récit historique africain lancé au moment des indépendances et qui s’est poursuivi pendant 60 ans. Des centaines de chercheurs ont été mobilisés, des milliers de pages de texte écrites pour essayer de débarrasser l’histoire de l’Afrique du regard colonial. Il reste cependant à cette œuvre, gigantesque par l’ambition et le format, à sortir des cercles d’initiés.
En 1981, la plume d’Ahmadou Mahtar M’Bow, à l’époque directeur général de l’Unesco, décrit les puissantes chimères qu’il faudra terrasser dans le texte à venir. « Longtemps, mythes et préjugés de toutes sortes ont caché au monde l’histoire réelle de l’Afrique. Les sociétés africaines passaient pour des sociétés qui ne pouvaient avoir d’histoire », écrit-il dans sa préface au volume I de l’Histoire générale de l’Afrique.
Les origines de ce déni ? Une soi-disant absence de sources écrites qui auraient empêché toute écriture scientifique.
Réhabiliter la mémoire africaine
De manière plus profonde sans doute, « l’apparition, avec la traite négrière et la colonisation, de stéréotypes raciaux générateurs de mépris et d’incompréhension et si profondément ancrés qu’ils faussèrent jusqu’aux concepts mêmes de l’historiographie ». Selon Mahtar M’Bow, « repérable à la pigmentation de sa peau, devenu une marchandise parmi d’autres, voué au travail de force, l’Africain vint à symboliser, dans la conscience de ses dominateurs, une essence raciale imaginaire et illusoirement inférieure de nègre. Ce processus de fausse identification ravala l’histoire des peuples africains dans l’esprit de beaucoup au rang d’une ethno-histoire où l’appréciation des réalités historiques et culturelles ne pouvait qu’être faussée. »
Mais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la vague d’indépendances, les choses ont commencé à bouger. Des historiens de plus en plus nombreux ont ébranlé les certitudes coloniales sur le continent et « dans l’exercice de leur droit à l’initiative historique, les Africains eux-mêmes ont ressenti profondément le besoin de rétablir sur des bases solides l’historicité de leurs sociétés ».
L’ambition ? Elle est résumée par l’historien Joseph Ki-Zerbo : « À moins d’opter pour l’inconscience et l’aliénation, on ne saurait vivre sans mémoire, ni avec la mémoire d’autrui, écrit-il. Or l’Histoire est la mémoire des peuples. (…) Mais pour ne pas troquer un mythe contre un autre, il faut que la vérité historique, matrice de la conscience désaliénée et authentique, soit fermement éprouvée et fondée sur des preuves. »
Des sources orales et pluridisciplinaires
Le projet a été lancé en 1964, quand la Conférence générale de l’Unesco s’est saisie de la demande des nouveaux États africains indépendants. Il a commencé par une période de collecte de sources, allant des récits de la tradition orale, aux manuscrits en arabe et en « ajami », du nom des langues africaines écrites en caractères arabes. Il s’est poursuivi par de nombreuses rencontres et débats entre experts et par l’écriture elle-même – plus de 350 spécialistes, issus de différentes disciplines, ont été associés aux huit premiers livres. Les tomes I à VIII ont été publiés entre 1981 et 1994. Les trois derniers volumes (IX, X et XI) sont présentés ce vendredi 17 octobre 2025 à l’Unesco.
Il s’agit d’abord, avec ces trois derniers livres, d’actualiser les travaux des huit premiers volumes, en intégrant les résultats des recherches des dernières décennies et en continuant à affiner la réflexion méthodologique et théorique. Depuis les premiers textes de l’Histoire générale de l’Afrique, le travail sur les sources orales s’est encore enrichi. Un point d’étape a notamment été fait en mai 2011 lors d’un colloque à Agbodrafo, au Togo, sur l’utilisation de ces sources orales.
Selon Theodore Nicoue Gayibor, l’un des contributeurs du volume IX, ce colloque « a produit une évaluation extrêmement positive de la recherche et des résultats scientifiques basés sur les sources orales. Cela a démontré les nombreuses réalisations en termes de consolidation de la méthodologie préconisée par les pionniers et les nouveaux champs ouverts à l’exploration par les chercheurs. Des perspectives de recherche renouvelées à partir du corpus oral ont déjà été reconnues (mettant en évidence les pièges auxquels l’historien de terrain doit faire attention : la nécessité de recourir à des disciplines autres que l’histoire, l’intervention des récits de vie pour combler les grandes lacunes de l’histoire moderne, etc.). »
Le volume s’intéresse aussi à la diversité des sources écrites africaines, ainsi qu’aux sources archéologiques et épigraphiques – du nom des inscriptions gravées ou incisées sur un matériau durable.
Rompre avec les fausses idées
Le volume IX propose également l’abandon du terme de « préhistoire » qui maintiendrait une séparation pleine de sous-entendus idéologiques et lui préfère celui « d’histoire initiale » « La dichotomie préhistoire/histoire est un peu surannée et a tendance à prendre une connotation péjorative, explique à RFI le professeur Augustin Holl, qui dirige le comité scientifique de l’Unesco pour l’Histoire générale de l’Afrique. C’est l’assimilation de la préhistoire à la barbarie et à la sauvagerie et l’histoire assimilée à la civilisation. C’est du Hegel pur et simple : Hegel a affirmé que l’Afrique n’était pas encore entrée dans l’Histoire, ce que Nicolas Sarkozy a martelé à Dakar quand il a fait son discours à l’université Cheikh Anta Diop. Parler d’histoire initiale permet de rompre avec ces idées fausses ». À l’inverse, indique le texte de l’ouvrage, cette nouvelle désignation « souligne la présence historique continue de l’Afrique ».
Autre idée qui cherche à faire changer le regard sur l’histoire du continent : celle « d’Afrique globale », détaillée dans le volume X. Avec elle, il s’agit d’articuler l’histoire de l’Afrique à celle de ses diasporas, d’adopter une approche mondiale de la contribution africaine à l’histoire universelle. « Dès qu’on commence à creuser, raconte le professeur Holl, on a d’énormes surprises sur la présence africaine dans plusieurs parties du monde. Les diasporas africaines ont été beaucoup plus anciennes en Asie qu’en Amérique, puisqu’on a la révolte du Zanj au IXème siècle, la révolte des esclaves africains qui travaillaient la canne à sucre dans les plaines du sud de la Mésopotamie et qui ont failli renverser la dynastie Abasside. » Mais l’ouvrage décrit aussi les importantes diasporas africaines en Turquie, en Iran, en Arabie Saoudite, aux Émirats.
Le volume XI, selon l’Unesco, explore l’identité de l’Afrique dans un contexte global, au travers des textes de 69 chercheurs issus de 32 pays. « L’ouvrage, indique l’organisation dans une note de présentation, revient sur la quête de l’Afrique pour l’unité et la souveraineté au lendemain des indépendances — à travers les défis de la guerre froide, du Mouvement des non-alignés et des tensions persistantes au sein du panafricanisme. Il revisite les ultimes luttes de libération et les fortunes diverses des jeunes États africains, tout en ouvrant des perspectives de renouveau et de coopération. » Les contributions rassemblées décrivent aussi « les grands défis de notre temps » : croissance démographique, urbanisation rapide, santé publique, migrations, dette, égalité de genre et justice environnementale. Cela « tout en célébrant la vitalité et la créativité des cultures africaines et diasporiques ».
Vers une meilleure diffusion des connaissances
Cette somme historique considérable enfin achevée, reste à amplifier un travail de vulgarisation et de diffusion qui, au cours des dernières décennies, n’a pas été à la hauteur des ambitions du projet. « L’Unesco doit assumer toute sa responsabilité, parce qu’il faut assurer le « service après-vente », estime le professeur Augustin Holl. C’est ce qui a manqué aux volumes I à VIII, qui n’ont pas vraiment été distribués à ceux qui pouvaient s’en servir le plus. Il y a des universités africaines qui n’ont même pas ces volumes-là. Il y a cette fois-ci de bonnes intentions pour essayer de transformer ces produits en matière pédagogique par les moyens de communication modernes. Il faudrait qu’on parvienne à convaincre l’Unesco de lancer une campagne de publicité de ces nouveaux volumes à l’échelle de tous les États membres ».
Les volumes I à VIII sont disponibles en ligne en 12 langues, notamment en français et en anglais, mais aussi en kiswahili, hausa and fulani. Les volumes IX à XI seront progressivement mis en ligne. Un outil pédagogique est lancé parallèlement à la présentation des trois derniers volumes, ainsi qu’un jeu vidéo de vulgarisation.
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