Oxmo Puccino annonce son dernier album: «La hauteur de la lune»

Vingt-sept ans après son premier album devenu un classique, Oxmo Puccino annonce son dixième et ultime projet, La Hauteur de la lune. Fin du rap game pour Ox’ ? Pas si sûr. Interview.
Oxmo annonce son nouvel album, La Hauteur de la lune, comme étant le dernier. Depuis La Nuit du réveil, sorti en 2019, Ox’ a rendu hommage sur scène au batteur nigérian Tony Allen, joué le MC hip hop sur Culturebox avec son émission live Bâtiment B et proposé une mixtape solaire, Lafiya Sessions, featuring Dany Dan, Le Célèbre Bauza, A2H, Luidji, Tuerie, Zuukou Mayzi et on en oublie. Après le roman Les Réveilleurs du soleil (Lattès, 2021), des podcasts pour Arte et quelques apparitions sur les planches et au cinéma, le revoilà… Une dernière fois ? Pas si simple heureusement, plus d’infos là-dessus ci-dessous.
RFI Musique : Tu présentes cet album comme étant ton dernier. Pourquoi ?
Oxmo Puccino : Le temps que je prends pour un album n’est pas celui d’une mixtape. J’ai une exigence qui me fait obéir à certaines lois qui dictent qu’un album doit être ce qu’on fait de mieux, conçu pour durer dans le temps. Il faut essayer d’être le marqueur d’une époque, et je ne sais plus si c’est à propos aujourd’hui. Quand on regarde les statistiques d’écoute d’un projet entier, la courbe est dégressive. Le premier morceau est à 90%, et ça baisse jusqu’à la fin, comme si la qualité diminuait, mais c’est juste qu’on n’a plus de temps de cerveau disponible.
Le discours de Youssoupha, qui citait Opéra Puccino, à la cérémonie des Flammes, arrivait à la conclusion opposée…
Justement, il n’a pas cité mes derniers albums. J’ai un répertoire qui me permet de tourner, je n’ai pas besoin de faire de nouvelles chansons. Dans la période un peu sèche qu’on a vécue, j’ai fait du théâtre, du cinéma, j’ai sorti deux livres, j’ai fait des lectures musicales, j’ai tourné avec Yaron Herman (pianiste de jazz, NDLR) sur des petites dates, j’ai fait beaucoup plus de choses que peut me faire vivre un album. Et puis il ne faut pas faire l’album de trop. Un album, c’est quatre ans de ma vie.
Pour Jul, c’est plutôt 15 jours…
Justement, je ne peux pas me calquer sur ça. Je le comprends, mais je ne suis pas de ce socle-là. Mon métier, c’est poétiseur, parce que c’est plus que de la poésie et de l’écriture, c’est le partage d’une vision assez claire d’un monde flou. Et je suis convaincu que les bons mots peuvent apporter quelque chose à la personne qui sait les recevoir.
On voit que le texte n’est plus au centre du débat dans le rap français…
C’est la loi du marché. Le rap français, comme beaucoup de genres musicaux, est né dans un milieu confidentiel, a connu un petit succès qui s’est agrandi à un point tel qu’on n’a plus pu l’ignorer médiatiquement. Et puis c’est l’océan, le grand public, le succès, la banalisation, la vulgarisation et ensuite, pas la disparition, mais le remplacement. Ça a souvent été comme ça. D’ailleurs aujourd’hui je suis égaré qu’on parle encore de rap, c’est devenu un mot fourre-tout. Il y a une dilution qui s’opère, comme dans le jazz ou le disco. Le rap n’y échappe pas. Je suis amusé de voir des familles, comme au festival Golden Coast : il y avait des anciens, des jeunes, le père qui m’écoutait et la fille qui écoutait Genezio. Quand j’entends que Tiakola et Hamza sont des rappeurs… Aya Nakamura aussi, ça, c’est génial, là, on est au bout du déni !
Aujourd’hui, on rappe sur du zouk, on chante des mélodies…
Avant la mélodie, c’était interdit, c’était le sacrilège, l’apostat. Tous les gens qui pensent comme ça, vont vieillir et n’auront plus la parole, et les jeunes qui remplissent des stades deviendront des adultes, et ça sera normal. C’est juste une question de temps.
Ton public est assez varié, tu aurais pu continuer…
Je ne suis pas à l’abri de faire un EP avec Chilly Gonzales, un piano/voix avec Sofiane Pamart ou Vincent Segal, uniquement pour le plaisir et sans que mon nom soit en avant. Si j’arrête les albums, c’est pour faire autre chose, pas pour disparaitre comme Mélanie/Diam’s.
Qui est responsable du son de La Hauteur de la lune ?
On a commencé avec Jérémy Chatelain, un ami très proche, grand créatif qui a des fulgurances. Je me suis lancé en studio sans savoir où j’allais avec lui, Amar Belkacem et Pandrezz. 2020 m’a coupé le sifflet. Au déconfinement, j’ai perdu mon père, je n’avais plus goût à écrire des chansons. C’est pour ça que j’ai écrit d’autres choses, pour continuer à être actif. Rencontrer d’autres personnes et avoir d’autres objectifs m’a fait savoir qu’il y avait d’autres possibilités de s’épanouir pleinement. Je n’ai pas envie d’être l’ancien rappeur. Je peux être le nouveau dans quelque chose, retrouver une fraicheur.
Vieillir, c’est découvrir la nostalgie, pourtant tu affirmes « Quoi qu’ils disent hier n’était pas meilleur » …
C’est une espèce d’incitation à contribuer à rendre le monde moins pire qu’il est, alors qu’il est en pleine évolution. Nous sommes dans un monde compliqué, mais malgré tout, nous sommes encore là et on a encore des éclats de rire à vivre, des bons repas à partager, des parties de foot, des matchs de boxe à voir, des diners intimes à vivre, les bons côtés de la vie. À cause d’un dessein qu’on nous a imposé, on nous fait croire que la vie, ça n’est surtout pas ça. Et on nous fait oublier ces possibilités-là. Dans un monde cauchemardesque, un sourire vous rend votre journée plus belle. Avec un mot, un geste, en une rencontre, on peut faire taire l’idée que tout est absolument noir.
Tu as consacré un morceau, « La Fête des pères », à ta fille. As-tu craint de tomber dans le sentimentalisme ?
Je suis convaincu que la manière dont j’en ai parlé est différente de toutes les autres. Je n’idéalise pas, je parle de mon ressenti avec autant d’intensité que possible et surtout je parle de la difficulté de la position de père pour un homme. Quand je pense à ceux qui n’ont pas eu la chance de grandir avec leur père pour n’importe quel motif, ils ont peut-être des raisons d’être tristes. Moi, j’ai eu cette chance et hélas, c’est souvent quand les gens partent qu’on se rend compte de leur valeur.
Comme tu le disais dans « L’Enfant seul », « Grandir sans père c’est dur ».
Dans le rap, on a tendance à plus parler de la mère. Le père, c’est le sujet d’à côté. L’absence du père ne le rend pas moins important.
Comment s’est passé le featuring avec Vanessa Paradis ?
Vanessa, c’était du miel. Elle était contente d’être là, et cette joie qu’elle avait de rentrer en cabine parce qu’elle faisait quelque chose qu’elle n’avait pas l’habitude de faire, ça se ressent dans la chanson. Et c’était partagé dans le studio. Ce sont des moments qui marquent, et ça s’est passé de façon très simple : elle a lu le texte, ça lui a plu, elle a dit « OK, je vais essayer ça ». Elle a dû faire trois ou quatre prises pour le couplet, elle s’amusait. C’est fou de savoir encore s’amuser quand on a une carrière à ce niveau-là.
Tu as aussi collaboré avec trois artistes de la scène rap, MC Solaar, Josman et Tuerie.
Je me devais de faire un morceau avec Solaar, il m’a énormément influencé. « Ne pas m’aimer », ça s’est fait à la naturelle, un égotrip poétique qui tourne autour de l’amour, qui raconte une admiration commune, un respect commun. Josman, pour moi, c’est une espèce d’héritier qui résonne dans son époque. Notre morceau, « Deux centimètres à l’heure », a demandé beaucoup de travail. Et Tuerie, la vibe qu’il envoie en studio, c’est toujours une surprise. « Magique », c’est magnifier un moment qui peut sembler anodin. C’est ça, la magie de Tuerie.
Oxmo Puccino La Hauteur De La Lune (Naïve Records) 2025.
Site officiel / Facebook / Instagram / YouTube



