Sénégal: Enjeux du secteur extractif sénégalais

Le Musée des Civilisations Noires (MCN) a servi de cadre, samedi 4 octobre 2025, à une conférence sur le secteur extractif sénégalais. Organisé par le FRAPP dans le cadre de l’Académie Lamine Arfang Senghor, ce panel modéré par M. Benjelou a réuni d’éminents experts autour du thème : « Gouvernance, transparence, écologie et conditions de travail ». Les intervenants – Elimane Kane de Legs Africa, Julien Potron, industriel, et Aliou Gérard Koita, directeur d’organisation – ont tour à tour dressé un état des lieux sans concession, pointant les défaillances structurelles et appelant à une refonte démocratique de la gestion des ressources naturelles.

D’entrée de jeu, Elimane Kane a planté le décor en rappelant le principe constitutionnel énoncé à l’article 25 : « Les ressources naturelles appartiennent aux peuples ». Un principe noble, mais qui, dans les faits, est largement bafoué. « L’Assemblée nationale n’intervient pas pour signer des contrats miniers. Les collectivités territoriales, là où les ressources existent, ne sont pas impliquées », a-t-il déploré. Selon lui, tout reste centralisé entre le président de la République et le ministre en charge du secteur, excluant ainsi les populations des décisions qui les concernent directement.

Il a également présenté l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) comme un outil utile, mais insuffisant. « L’ITIE ne suffit pas pour assurer la transparence. On ne peut pas l’utiliser comme étant le seul instrument », a-t-il insisté, appelant à aller au-delà des rapports et à instaurer une réelle gouvernance démocratique.

Julien Potron a, quant à lui, alerté sur les conséquences environnementales désastreuses des activités extractives. Prenant l’exemple d’une mine de sable minéralisé, il a révélé des chiffres alarmants : « La mine pompe toutes les heures 2 millions de litres d’eau dans la nappe maastrichtienne, la réserve stratégique du Sénégal ». Soit 19 milliards de litres par an, de quoi irriguer plus de 1 500 hectares de terres agricoles.


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Il a dénoncé l’absence de vision holistique : « L’extraction, ce n’est pas seulement enlever une ressource à droite. C’est aussi mesurer l’impact sur la ressource à gauche, comme l’eau ». Il a également critiqué les faiblesses du cadre juridique, notamment le nouveau code de l’environnement qui, selon lui, permet de contourner l’avis des populations lors des consultations publiques.

Des conditions de travail précaires et une main-d’oeuvre exploitée

Aliou Gérard Koita a apporté un témoignage poignant sur les conditions de travail dans le secteur. Il a décrit des pratiques « de contournement systématique » des lois sociales, où des travailleurs sont « jetés » d’un sous-traitant à un autre pour éviter leur titularisation. « Un travailleur peut passer d’une entreprise à une autre tous les deux ans, sans jamais obtenir de contrat stable », a-t-il expliqué.

Il a aussi pointé du doigt les discriminations salariales : « Des Sénégalais sont payés 400 000 FCFA quand des expatriés perçoivent 2 000 000 FCFA pour le même travail ». Face à cette précarisation généralisée, il a appelé à un « renouvellement urgent du code du travail » et à une meilleure protection des travailleurs.

Malgré ce constat sévère, les panélistes ont proposé des pistes de sortie. Tous s’accordent sur la nécessité de :

Renforcer la transparence au-delà de l’ITIE, notamment en publiant l’intégralité des contrats et en rendant accessibles les données financières.

Impliquer les populations dans la prise de décision, depuis l’octroi des licences jusqu’au suivi des impacts.

Créer des organisations de la société civile indépendantes, financées localement, pour contrebalancer le pouvoir des multinationales.

Revoir le cadre juridique pour y intégrer le respect des droits humains et la protection de l’environnement.

Ce panel a offert une tribune cruciale pour alerter sur les dérives du secteur extractif sénégalais. Les échanges ont mis en lumière un fossé abyssal entre les textes de loi et leur application, entre les promesses de transparence et la réalité de l’opacité. Alors que le Sénégal s’apprête à entrer dans l’ère du pétrole et du gaz, les intervenants ont lancé un appel solennel : il est plus que temps de placer l’intérêt national et le bien-être des populations au coeur de la gouvernance des ressources naturelles.

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