Ces deux stations balnéaires du Cap Bon tunisien sont devenues, depuis une dizaine d’années, le lieu préféré des vacanciers tunisiens. Populaires et peu touchées par le tourisme de masse, les deux villes présentent aussi une richesse historique, patrimoniale et écologique.
De notre correspondante à Tunis,
Pour accéder à Kelibia et Haouaria, deux villes à une centaine de kilomètres de Tunis, pas d’autoroute, juste du goudron entre les champs et les pâturages, ponctué de vendeurs à la sauvette de bouées et accessoires de plage. C’est pourtant l’un des chemins favoris des vacanciers tunisiens, ils sont près de 200 000 chaque année à venir dans ces deux stations balnéaires du Cap Bon. Anciens villages agricoles et portuaires, Kelibia et Haouaria ont connu un regain de notoriété ces trois dernières décennies grâce à leur simplicité et authenticité.
« Lorsque nous étions petits, c’était vraiment la campagne et la mer. Nous passions notre temps à jouer au port, c’est tout », explique une native de la ville, Meriem Ben Naser, 51 ans. D’une ville d’environ 30 000 habitants dans les années 1980, Kelibia a doublé de volume en 30 ans. Surnommée « Kelibia la blanche » à cause du panorama de ses maisons immaculées que l’on peut observer depuis le fort de la ville, datant du XVIème siècle et situé sur un promontoire, à 150 mètres de hauteur, la ville attire les vacanciers tunisiens surtout grâce à sa mer, connue pour être translucide. « Pour les natifs de la ville, on s’y baigne en juin et septembre, lorsque tous les vacanciers sont partis, c’est le meilleur moment », évoque Meriem Ben Naser.
« Kelibia n’a pas été touchée par le tourisme de masse »
Une communauté italienne y est installée depuis plusieurs générations à cause des échanges ancestraux avec l’île de Pantelleria, à 80 km de Kelibia. Les Italiens y ont importé des techniques de pêche qui sont toujours utilisées comme la pêche au lamparo introduite au XVIIIème siècle par les Siciliens, une technique avec une senne tournante utilisée pour capturer les poissons qui remontent à la surface pendant la nuit. Attirés par la lumière artificielle du bateau, « la lamparo » ou le flambeau pendant l’Antiquité, les bancs de poissons se regroupent et s’approchent. Dans le port de Kelibia, l’une des activités favorites des fidèles de la ville est de déguster des sardines grillées, pêchées au lamparo, de bon matin, lorsque les pêcheurs rentrent de la mer.
« Kelibia, à la différence d’autres villes, n’a pas été touchée par le tourisme de masse et donc reste accessible pour de nombreuses classes sociales. La ville est très accueillante, car la saison estivale fait vivre une grande partie des habitants pour le reste de l’année », assure Adel Tanabene, professeur d’histoire-géographie, originaire de Kelibia. Meriem Ben Naser déplore, a contrario, les constructions débridées ces dernières années à des fins locatives pour les estivants.
L’attractivité s’est aussi développée grâce au festival du film amateur de Kelibia, le Fifak, un rendez-vous annuel chaque mois d’août qui donne la place aux jeunes créateurs de courts métrages. Le festival est l’expression d’une culture alternative avec la participation de nombreux jeunes cinéastes amateurs qui viennent depuis des années assister aux projections ou présenter leur premier film. Le public est aussi composé d’habitants de la ville et d’enfants, car le festival est très accessible et se déroule en centre-ville. Fondé en 1964, il représente l’un des plus anciens événements cinématographiques en Tunisie.
Pour les sportifs, Kelibia et sa jumelle, Haouaria, sont connues pour leurs tournois de beach-volley et de volley-ball, avec des compétitions internationales et des centres de formation dédiés au sport.

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Des milliers d’oiseaux migrateurs à Haouaria
Pour finir les soirées d’été à Kelibia, il faut déguster un verre de muscat, un vin blanc sec, issu de l’AOC locale avec un seul cépage, le muscat d’Alexandrie, surnommé le muscat de Kelibia, dont la fraîcheur et les arômes de fleur d’oranger sont uniques, grâce au climat doux et méditerranéen de la ville.
Au nord de Kelibia, en longeant ses plages, le site archéologique et punique de Kerkouane offre un point de vue unique sur la mer avec une nécropole très bien conservée, « malgré la destruction de la cité antique à deux reprises pendant les guerres puniques », explique Adel Tanabene. Puis, en continuant la route, Haouaria, ville plus rocheuse et cabossée, dont la falaise donne une vue imprenable sur l’île de Zembra, une aire naturelle protégée, à laquelle on accède seulement avec une autorisation.
Dans les reliefs de Haouaria, on peut souvent rencontrer des jeunes avec leur faucon au poing, car la fauconnerie et la préservation des rapaces sont très développées dans la région qui organise chaque année un festival consacré aux différentes espèces. L’écosystème de la faune et de la flore de Haouaria est riche : des milliers d’oiseaux migrateurs y font halte chaque année. L’île de Zembra abrite l’une des plus grosses colonies de puffins cendrés en Méditerranée et deux aigles royaux, confisqués du braconnage par les autorités, ont été relâchés dans la région, habitat adéquat.
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Deux stations balnéaires complémentaires
Plusieurs femmes rurales tentent aussi de préserver la tradition de la « Ghoula », le fait de réaliser plusieurs conserves de nourriture pour stocker sur l’année. Les tomates séchées, la harissa ou encore les kaak (gâteaux fourrés aux dattes et cuits dans un four traditionnel de pain Tabouna – NDLR) sont des mets uniquement faits à la main et présents dans toutes les maisons du Cap Bon. « On essaye d’encourager les femmes de la région à les vendre et pas seulement le faire pour un usage domestique, car c’est un savoir-faire traditionnel et les produits sont excellents », explique Rafiaa Limam Baouendi qui habite à proximité du site de Kerkouane.
Les eaux de Haouaria sont également convoitées pour leur couleur turquoise et les criques confidentielles auxquelles on accède seulement par bateau, avec des grottes dont les carrières de pierre ont servi à la construction de Carthage pendant l’Empire romain.
Outre les sports nautiques et la plongée qui permettent d’explorer des fonds marins riches en poissons et même un sous-marin datant de la Première Guerre mondiale, l’Ariane, Haouaria offre aussi des parcours de randonnée le long de sa falaise et dans ses environs. Les passionnés d’oliviers pourront pousser leur route jusqu’au petit village d’Echraf où un olivier millénaire – son âge est estimé à près de 2 500 ans – donne encore des olives à ses habitants.
Tandis que Kelibia est plus propice à la détente, la culture alternative et la baignade, Haouaria offre une découverte de paysages naturels et sauvages, terrestres et marins. Deux villes complémentaires, à rebours des stations balnéaires plus branchées et internationales comme Hammamet et Sousse.