Migrations et identités: des artistes dessinent leurs mondes sous le signe de la transmission

La galerie du 19M, dans le nord de Paris, accueille dix-sept jeunes artistes qui présentent des œuvres inédites, réalisées en collaboration avec des artisans reconnus pour leur savoir-faire dans les métiers d’art appliqués à la mode et à la décoration. Intitulée « Trouver son monde », cette exposition gratuite propose jusqu’au 14 décembre un parcours esthétique où la question de la transmission, mais aussi celle des migrations, est abordée avec autant de finesse que de poésie.

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Ils sont jeunes et, pour certains, présentent leur première grande exposition, relevant déjà un défi de taille : montrer « leur monde » et nous aider à comprendre celui qui nous entoure. « On avait envie de parler de la génération de demain, de la génération qui va nous aider à trouver nos propres mondes », résume Anne Bourrassé, commissaire d’exposition. « Ce sont des artistes qui sont nés majoritairement entre les années 1990 et 2000. Des artistes qui ont plein de mondes différents, qui viennent de plein d’endroits », dit-elle. « Il y a des artistes nés au Sri Lanka, en Chine, en Namibie, en Guadeloupe, en Bolivie, mais aussi les diasporas de la scène française. On voulait montrer vraiment la diversité des mondes. »

C’est le cas, par exemple, de la Namibienne Maty Biayenda, qui mêle des récits réels et fictifs pour aborder autant la multiplicité des identités afro-descendantes que l’objectivation des corps noirs féminins. Pour l’exposition, elle présente une maison de poupées géante construite en voiles plissés, ainsi que deux toiles qui évoquent ses amis, ses idoles, mais aussi une réflexion sur les familles que l’on choisit.

Chacun cherche sa place dans le monde à sa manière. Parfois de façon plus conceptuelle, comme la Française Sarah Benslimane, qui crée des constellations et réinterprète la mappemonde tout en questionnant la notion de frontières sur des œuvres murales. Mais de temps en temps, de façon plus détournée, comme le Marocain Ismail Alaoui Fdili, qui s’approche davantage de l’humain et de la manière dont il occupe des espaces en pleine mutation. Dans son œuvre Under Destruction, les personnages anonymes représentés par des sérigraphies sur le béton interrogent la place de l’homme dans le monde contemporain.

L'œuvre «Rayan», de l'artiste Sarah Benslimane, ouvre le parcours de l'exposition «Trouver son Monde», à la galerie du 19M.
L’œuvre «Rayan», de l’artiste Sarah Benslimane, ouvre le parcours de l’exposition «Trouver son Monde», à la galerie du 19M. © Silvano Mendes/RFI

La scène française, un bloc fait de nombreuses migrations

Engagée sans être militante, l’exposition aborde des sujets d’actualité traités avec subtilité, mais de façon très percutante. La question des migrations, par exemple, ponctue le parcours, comme dans The Silence of the Sea, une installation vidéo signée par l’artiste française Sarah Makharine dans laquelle les images de la mer sont bercées par les récits de personnes en exil, qui racontent le pendant, mais surtout « l’après » de leur traversée. En seulement quelques instants, des êtres souvent anonymisés reprennent la parole dans un registre émouvant.

Plus qu’un parti pris politique, la diversité des artistes et les sujets traités semblent illustrer une volonté de nous montrer le monde tel qu’il est. « La scène française n’est pas un bloc statique figé. C’est un bloc fait de nombreuses migrations. C’était très important de montrer que cette nouvelle génération d’artistes, ainsi que leurs œuvres, fait partie de cette histoire-là de déplacement », explique Anne Bourrassé.

Artistes et artisans : main dans la main

Les langages artistiques et les supports qui composent les œuvres expriment bien la diversité voulue par la commissaire, entre photos, peintures, vidéos et installations, où à chaque fois l’artiste est invité à collaborer avec les artisans de l’une des maisons du 19M, cette structure créée par Chanel pour regrouper douze maisons d’artisanat et ainsi préserver des savoir-faire chers à la haute couture. Réunis sous le même toit – dans un bâtiment conçu par l’architecte Rudy Ricciotti aux portes de Paris –, les brodeurs (Lesage, Atelier Montex ou Studio MTX), les plumassiers (Lemarié), les orfèvres (Goossens) ou les plisseurs (Lognon), souvent impliqués dans les défilés – chez Chanel ou ailleurs – dialoguent ici avec ces jeunes artistes aux univers très variés, mais avec lesquels ils partagent les mêmes motivations.

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« Il y a énormément de similitudes, parce que le travail de peintre, c’est aussi quelque part un travail d’artisan. En tout cas, c’est ce que j’ai pu constater en allant les voir travailler dans leurs ateliers », explique Rakajoo, qui a collaboré avec la maison Lesage. « On était un peu dans cet état d’esprit quasi méditatif dans lequel on peut se retrouver plongé quand on travaille sur une œuvre », se souvient l’artiste, qui a fait sa première exposition personnelle au Palais de Tokyo en 2024 et a collaboré pour ce projet avec la maison Lemarié.

La mode s'invite également au parcours, notamment avec l'œuvre d'Eden Tinto Collins, qui a réalisé un costume en collaboration avec la maison Lesage.
La mode s’invite également au parcours, notamment avec l’œuvre d’Eden Tinto Collins, qui a réalisé un costume en collaboration avec la maison Lesage. © Silvano Mendes/RFI

Mais le point commun entre ces artistes et artisans est avant tout la notion de transmission, élément récurrent dans la programmation de la galerie du 19M. La transmission des gestes artisanaux – que les visiteurs peuvent découvrir aussi dans les animations proposées à la fin du parcours –, mais aussi des récits et héritages culturels, de manière souvent très personnelle.

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