Ile Maurice: L'ombre mortelle de Telegram

Ils s’appellent Blue Whale, Momo ou encore Blackout Challenge. Derrière ces noms parfois anodins, se cachent des défis mortels, véritables pièges pour des centaines d’adolescents mauriciens. Ces «death games», popularisés via la plateforme de messagerie Telegram, gagnent en ampleur et plongent familles, éducateurs et autorités dans l’inquiétude. À Maurice, plus de 1 600 jeunes seraient déjà happés par ces spirales virtuelles, dont près de 750 actifs au quotidien.

Parmi eux, 13 se trouvent à un stade critique : le «palier 40» du Blue Whale Challenge, autrement dit à quelques missions de l’irréparable. Pour comprendre ce phénomène, nous avons rencontré le constable Hissen Caramben, qui, rappelons-le, avait fait la une des médias en sauvant une femme victime de harcèlement dans un autobus.

Un combat personnel et professionnel

Hissen Caramben n’est pas qu’un policier de terrain. Depuis neuf mois, il exerce comme research officer au sein d’une entreprise internationale. Son rôle : analyser les problématiques liées à Internet et proposer des solutions. Son engagement est né d’une promesse :


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«J’ai commencé ce combat il y a plus de quatre ans et demi, le jour où j’ai promis à une fillette de 12 ans de lui rendre justice. Elle était victime d’abus sur Telegram… et elle s’est donné la mort.» Depuis, il a contribué à sauver 231 personnes de la spirale Telegram. Son objectif pour cette année : atteindre 500. «Mais le manque de coopération me donne parfois l’impression d’être vu comme un criminel par certains, alors que d’autres me considèrent comme un ange», confie-t-il.

Une messagerie qui vire au cauchemar

Application prisée des entreprises et des personnalités pour sa confidentialité, Telegram s’est imposée à Maurice entre 2019 et 2020. Sa promesse : une messagerie ultra-sécurisée grâce à trois couches de protection et un stockage hors cloud. Mais dans l’ombre, la plateforme est devenue le théâtre de dérives inquiétantes : exploitation de photos intimes, sextorsion, diffusion massive de contenus pédopornographiques, trafic de drogue et circulation de faux papiers.

Selon Hissen Caramben, le volume de fichiers illicites liés à des Mauriciens est passé de 200 000 en 2019 à 1,4 million aujourd’hui. «Les jeunes sont les premières victimes. Beaucoup voient leurs photos diffusées sans consentement, subissent le cyberharcèlement et sombrent dans la dépression. Trop souvent, cela conduit au suicide», alerte-t-il.

Le piège des défis mortels

Parmi les dérives, les dare games ou death games occupent une place particulière. Ils se présentent comme des défis successifs, d’abord anodins, puis de plus en plus extrêmes, jusqu’à pousser le joueur au suicide. Les plus connus sont :

  • Blue Whale Challenge : 50 missions sur plusieurs semaines, le dernier défi étant… la mort.
  • Blackout Challenge : jeu d’étranglement jusqu’à la perte de conscience.
  • Momo Challenge : échanges avec une entité qui menace et manipule psychologiquement l’adolescent.
  • Labello Challenge : se mutiler discrètement en se mettant des objectifs liés à un baume à lèvres.
  • Fire Challenge : mettre le feu à ses vêtements ou à sa peau.
  • Salt and Ice Challenge : brûlures causées par le mélange sel + glace.
  • Skull Breaker Challenge : faire trébucher une personne pour provoquer une chute violente.
  • Benadryl Challenge : ingestion excessive de médicaments antihistaminiques.

Tout commence par une mission banale : manger un piment, se couper légèrement, rester éveillé toute une nuit.

Mais très vite, l’escalade survient :

Boire un produit ménager ; n Avaler des dizaines de comprimés ;

Se jeter d’un bâtiment ; n Conduire à 200 km/h ; et

Écrire une lettre d’adieu avant de sauter d’une falaise.

«Dans 99 % des cas, le dernier palier mène au suicide», précise Hissen Caramben.

Les chiffres, selon Hissen Caramben, donnent le vertige : 1 600 jeunes Mauriciens sont concernés par ces jeux, dont 750 actifs, et 13 déjà au palier 40, c’est-à-dire à la frontière du passage à l’acte. Pire : ceux qui ne jouent pas activement servent parfois de recruteurs, incitant d’autres adolescents à rejoindre ces défis.

Le constable raconte une anecdote glaçante : «Une semaine avant la Journée mondiale de prévention du suicide, j’avais averti qu’il y aurait une vague dramatique. Effectivement, quatre suicides ont suivi, sans compter les tentatives. Malheureusement, l’entretien que j’avais donné n’a pas été diffusé…»

Quand l’indifférence tue

Hissen Caramben insiste sur un point : les autorités ont été alertées. «J’ai transmis documents, vidéos, recommandations juridiques et sociales. Mais l’indifférence est le véritable ennemi de la justice», cite-t-il en reprenant les mots de Martin Luther King Jr. Il révèle que certaines personnalités, qui se sont montrées indifférentes publiquement, l’ont en réalité contacté en privé pour retirer les photos de leurs proches de Telegram.

Le policier Hissen Caramben est «research officer» au sein d’une entreprise internationale.

Face à ce fléau, Hissen Caramben avance plusieurs pistes :

carte SIM spéciale pour mineurs ; mode d’authentification parental obligatoire ; impossibilité d’installer certaines applications comme Telegram sans accord ; le contrôle du réseau, dont le blocage automatique pendant les heures de classe ; une limitation d’usage après 21 h pour garantir le sommeil ; et des forums pour parents pour les former à surveiller les téléphones et détecter les signes avant-coureurs (photos inhabituelles, blessures inexpliquées, messages codés).

«Inutile de sensibiliser les jeunes, ils savent déjà que Telegram est dangereux. Ce sont les parents qui doivent apprendre à déjouer ces pièges», insiste-t-il.

Derrière chaque statistique se cache un drame humain. Hissen Caramben se souvient de ces adolescents sauvés à la dernière minute, mais aussi de ceux qu’il n’a pas pu aider. «Vous portez ça toute votre vie. On ne sort pas indemne de ce combat.» Lui-même admet que ce travail le hante : «Parfois, je me demande si mes alertes servent vraiment. Mais quand une famille me remercie parce que leur enfant a été sauvé, je retrouve un peu d’espoir.»

Les death games ne sont pas de simples défis viraux. Ils incarnent un phénomène mortifère qui ronge la jeunesse mauricienne. Telegram, avec son apparente confidentialité, est devenu une arme à double tranchant : outil de communication pour certains, piège mortel pour d’autres.

Le témoignage du constable Caramben, à la fois policier et chercheur, rappelle l’urgence d’agir. Former les parents, encadrer l’usage des téléphones et briser le silence institutionnel sont les premières étapes pour endiguer l’hémorragie. Car, au-delà des chiffres, ce sont des vies, des familles et l’avenir d’une génération entière qui sont en jeu.

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