Guinée: Référendum constitutionnel – Entre ouverture et verrouillage

La Guinée vient de s’offrir une nouvelle Constitution votée à l’issue du référendum d’hier, qui lui permettra officiellement de marquer une rupture avec le passé et tracer les contours d’une « démocratie » rénovée.
La nouvelle loi fondamentale instaure, en effet, une parité de genre, avec un quota de 30% de femmes aux postes électifs et décisionnels, autorise les candidatures indépendantes, crée une Haute cour de justice chargée de juger les anciens présidents et membres du gouvernement, élargit certains droits civiques des Guinéens et promeut une gouvernance inclusive. Autant de signaux envoyés à tous les électeurs potentiels avides de participation et lassés des querelles politiciennes des partis traditionnels.
On peut dire que la Guinée est encore à la croisée des chemins
Mais derrière ces vitrines séduisantes et ce vernis progressiste, se cache une mécanique politique bien rodée d’autoconservation du pouvoir, puisque les membres du gouvernement de transition s’offrent d’abord l’amnistie totale pour tous les crimes qu’ils ont commis hier, puis la possibilité de briguer la magistrature suprême demain, tout en rallongeant la durée du mandat présidentiel à sept ans, renouvelable une fois.
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A première vue donc, on peut dire que la modernité s’invite dans le texte fondamental, mais à y regarder de près, l’on comprend qu’il ressemble davantage à un tremplin politique pour le Général Mamadi Doumbouya qui cherche par ce biais à se pérenniser en se drapant de légalité, qu’à une véritable modernisation institutionnelle.
En d’autres termes, la Constitution qui vient d’être plébiscitée peut être perçue comme une clé qui entrouvre la porte de l’inclusion politique, mais aussi comme une serrure qui verrouille la possibilité d’une véritable alternance, d’autant qu’elle redessine les règles du jeu à l’avantage des dirigeants actuels de la transition qui concèdent quelques miettes de démocratie pour mieux garder la miche de l’autorité. Rien de tout cela ne surprend d’ailleurs les Guinéens, eux qui vivent depuis l’indépendance du pays sous l’empire de Constitutions bricolées à la hâte, et présentées comme de belles friandises, juste pour calmer une jeunesse exaspérée, et faire un clin d’oeil cosmétique à la société civile.
Cette fois-ci encore, ils avaient le choix entre accepter le sucre démocratique en surface, ou rejeter le marché de dupes comme l’ont fait les opposants les plus en vue que sont l’ancien président Alpha Condé et l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo, tous aujourd’hui en exil et exclus de facto de la course à la prochaine présidentielle.
Ces deux figurent emblématiques de l’opposition estiment, en effet, que le référendum d’hier n’est qu’une illusion de choix, entre un « oui » complice, et un « non » superfétatoire et à la limite stérile. C’est la raison pour laquelle ils ont appelé au boycott de la consultation et de la Constitution qui en découle, convaincus que cette dernière, loin de réconcilier le pays, va installer durablement une République taillée sur mesure pour les maîtres actuels de Conakry.
Permettre aux Guinéens d’aller aux prochaines élections sans la peur habituelle au ventre
Avec donc, d’un côté les partisans du régime qui considèrent cette loi fondamentale comme le socle d’un nouvel ordre démocratique, et de l’autre les caciques de l’opposition qui y voient une manoeuvre pour habiller d’oripeaux juridiques une continuité du pouvoir kaki, on peut dire que la Guinée est encore à la croisée des chemins.
Et comme toujours en pareille circonstance, dans ce pays, le cocktail pourtant séduisant risque d’être finalement explosif, car il pourrait créer une nouvelle crise de légitimité, et au lieu d’être un contrat social censé résoudre les tensions latentes, sera plutôt perçu comme un instrument d’exclusion et de confiscation de pouvoir par le Général Doumbouya.
Les signaux d’alerte sont en tout cas déjà nombreux, et comme la contestation électorale est rarement pacifique en Guinée, l’on craint des affrontements entre les partisans de ceux qui ont organisé le scrutin et qui en sont, quoiqu’on dise, les premiers bénéficiaires, et ceux de l’opposition pour qui le jeu était truqué d’avance.
On se retrouverait alors dans une spirale de violences qui va inéluctablement fracturer davantage cette société guinéenne déjà durement éprouvée par la pauvreté, le chômage et l’instabilité politique chronique. Espérons que pour cette fois-ci au moins, un consensus politique à même de rétablir la confiance entre les acteurs civils et militaires, pourra être trouvé, afin de permettre aux Guinéens d’aller aux prochaines élections sans la peur habituelle au ventre.