Victor Démé: dix ans après la mort du chanteur burkinabè, sa musique fait référence

Des titres inédits, d’autres enregistrés en live, des concerts en guise d’hommage… À l’occasion des dix ans de la disparition du chanteur Victor Démé, survenue le 21 septembre 2015, les raisons de retrouver la voix et le répertoire du Burkinabè sont multiples. Elles reflètent aussi l’influence que ses chansons continuent d’exercer.
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Dans la cour du Goethe Institut de Ouagadougou, tout à coup la mélodie de « Djon Maya » emplit l’espace et la nuit chaude de ce mois de décembre 2022. Sur la petite scène, la chanteuse Fleur et son groupe ont choisi d’inclure dans leur concert d’ouverture des cinquièmes Rencontres musiques africaines (Rema) le titre emblématique de Victor Démé. Et même de le prolonger en reggae, ce qui n’aurait certainement pas déplu à son auteur, devenu – tardivement – une fierté nationale. L’an dernier, dans l’un des lieux de la capitale burkinabè investis par le Festival Salon Musique, c’est sa compatriote Flora Paré, tout juste médaillée d’argent aux derniers Jeux de la francophonie, qui interprétait ce titre élevé au rang de classique.
Si l’impact d’un artiste se mesure à l’aune des hommages rendus par ses pairs, alors celui du chanteur originaire de Bobo-Dioulasso est aussi indélébile que considérable, rappelant à certains égards la trace laissée par le Réunionnais Alain Peters bien au-delà de cercle du maloya. La Toile en est témoin, qu’il s’agisse entre autres de la reprise proposée en 2017 par l’Algérien Djam, ex-Djmawi Africa, dans l’émission de téléréalité française Nouvelle Star, celle du duo belgo-burkinabè Soledad Kalza & Sina Kienou en 2020 ou encore celle du Sénégalais Lass en 2021.
Charge émotionnelle
« C’était un challenge », confie ce dernier, faisant allusion à l’incroyable charge émotionnelle que dégage la version originale de ce morceau, qu’il continue à écouter encore aujourd’hui pour cette raison. Il n’a pas non plus oublié l’attitude bienveillante de Victor, les conseils prodigués, lorsqu’il avait fait sa première partie à Lyon en 2009.
Certains ont appris à ses côtés, comme l’électrisant Baba Commandant, décédé fin 2023 alors qu’il semblait lancé sur orbite par ses 70 dates américaines dans l’année. Sur scène, il lui arrivait de reprendre à sa façon « Sere Jugu » pour rendre hommage à son ami disparu qu’il avait souvent accompagné en concert.
Avec Moussa Koita, qui a grandi dans la cour familiale de Victor Démé, le lien est quasi filial : « Je le voyais jouer avec mon père qui faisait partie du groupe Farafina. Quand j’avais cinq ou six ans, il lui a dit qu’il fallait m’intégrer aux chœurs et aux percussions pour la Semaine nationale de la culture qui se passait tous les deux ans à Bobo-Dioulasso. J’ai appris à jouer de la guitare avec lui. Quand son premier disque a cartonné, j’étais tellement fier de Victor ! C’est quelqu’un qui n’avait plus de considération. Il était vu comme un troubadour et on le payait en bière traditionnelle, le dolo », raconte le quadragénaire, dont le style musical est naturellement imprégné de celui de son voisin et mentor. Sur son premier album Ayé paru l’an dernier figure un morceau intitulé « Victor Démé », qui dit toute sa reconnaissance envers son aîné, grâce auquel son pays a retrouvé une place sur le circuit international. N’est-il pas, dix ans après sa disparition, l’artiste du Burkina le plus streamé ?
L’ambiance fantomatique d’« Ambideu », un des inédits
La contribution de Synapson à ce statut est indéniable : le succès de « Djon Maya Maï », remix signé en 2013 par le duo électro français, a donné une autre exposition à la voix du chanteur. « Il était super flatté que des jeunes à l’autre bout du monde s’intéressent à son vieux blues et en fassent quelque chose de dansant », se souvient Camille Louvel, producteur historique de Victor Démé qui a permis à son talent d’être reconnu. « On a joué dans 35 pays, dont une dizaine en Afrique », rappelle le Français, fondateur au début des années 2000 de la structure Ouaga Jungle dans la capitale burkinabè.
Là-bas, ils ont enregistré trois albums dont le dernier a été commercialisé juste après la mort de celui qui posait avec sa guitare comme avec sa machine à coudre, terrassé par une crise de paludisme. Une décennie plus tard, le temps des inédits est venu. Écartés à l’époque pour des raisons diverses qui tenaient souvent à l’équilibre global des projets finalisés, cinq d’entre eux viennent d’être réunis sur Yeleen Kura, ainsi que quatre chansons datant d’une prestation à Rouen en 2009.
Au feeling reggae de « Djilon », retravaillé par Blundetto, s’oppose l’ambiance sobre et fantomatique d’« Ambideu », confié à Clément Petit et Alex Finkin (soit les deux tiers de Roseaux). « On a l’impression qu’il nous chante de très loin », commente Camille Louvel. Pour présenter ces titres sur scène et célébrer le répertoire de Victor Démé, ses anciens musiciens ont prévu de se retrouver et de donner deux concerts sur le sol français, les 18 et 19 septembre, en mémoire du chanteur, mais aussi de son guitariste et fidèle complice Issouf Diabaté disparu fin août.
Victor Demé Yeleen Kura (Chapa Blues Records) 2025