Angaredona Mozika Festival: un voyage à travers les cultures et les sons de Madagascar

À Madagascar, la 19e édition de l’Angaredona Mozika Festival bat son plein. Né en 2004 à l’initiative de Rajery, maître absolu de la valiha, ce rendez-vous unique qui se terminera le 21 septembre, continue de faire vibrer le public deux décennies après. Sept jours de concerts, d’ateliers, de rencontres, au pied de la colline sacrée d’Ambohimanga, en bordure de la capitale. Sept jours pour donner à entendre les musiques vivantes de toute l’île et offrir aux Malgaches une lecture plus métissée de leur île.
Le soleil décline sur la colline sacrée d’Ambohimanga Rova. Du palais d’été des rois et reines de l’Imerina, en ce samedi 13 septembre 2025, on entend s’élever les vibrations des tambours gasy en contrebas de la vallée. Au pied de la scène dressée pour l’occasion, la tente qui abritait ce matin encore les « manakaja », les officiels et les notables des villages alentour, a été démontée.
Place désormais à la fête populaire. En quelques heures, les abords du terrain municipal sont pris d’assaut par des stands de jeux et des gargotes mobiles. Une douce ambiance de kermesse s’est emparée des lieux. Specialista, Farakely, Rajery, Kaiamba, Bolo : sur scène, les groupes s’enchaînent sous les acclamations du public.
À chaque artiste, des sonorités et des rythmiques propres à son ethnie d’origine ou sa zone géographique. Antsa Sakalava saccadé, tsapiky survolté, kaiamba nostalgique, l’Angaredona offre un voyage auditif aux quatre coins de l’île. Les corps se balancent, les mains se lèvent, les adultes chantent, les enfants courent, les bébés s’endorment blottis dans les bras. En quelques heures, la température a baissé de 12 degrés. Mais la musique réchauffe et les visages s’illuminent.
Un éclectisme plébiscité
Le public ne s’y trompe pas. « En une journée, on entend tous les styles, de la musique très traditionnelle aux sons modernes qui font danser », raconte une habituée de ce festival. « Aucun autre festival malgache ne propose une telle palette de styles musicaux. C’est unique et génial à la fois ! » assure la spectatrice. « C’est extrêmement réconfortant », confie un autre spectateur. « J’entends les chansons qui ont bercé mon enfance, des airs qu’écoutaient mes grands-parents sur leur transistor. Et l’instant d’après, je me retrouve à hurler des barres de rap du dernier son de Bolo. Ce grand-écart est magique ! »
C’est justement ce multiculturalisme que promeut avec force Rajery depuis plus de vingt ans. Son festival, il l’a voulu celui des musiques vivantes. Des musiques, décrit-il, traditionnelles et folkloriques, bien loin d’être figées. « Elles intègrent des instruments occidentaux. Elles s’influencent entre ethnies. Elles vivent ! »
Briser le chacun-pour-soi
Mais pour qu’elles vivent, encore faut-il qu’elles se rencontrent. Alors, Rajery construit des ponts. Entre les chanteurs, entre les producteurs, entre les festivals. Cette année, grâce à son partenariat monté avec le festival Sobahya de Majunga, l’organisateur a fait monter Volazara sur scène. Une virtuose de l’antsa sakalava, un style musical entêtant et saccadé de la côte ouest, où chaque parole n’est qu’improvisation. « Il m’a fallu quatre jours pour faire le trajet de ma brousse à ici » raconte la chanteuse qui n’avait jamais quitté sa région. « Mais je ne regrette pas cette expédition. Dans mon cœur, ce n’est que de la joie en voyant le public. Et qui sait, après m’être produite ici, peut-être vais-je gagner beaucoup d’argent … » espère la jeune mère de famille.

Créer du lien. S’entraider. Dans le paysage culturel malgache, Angaredona Mozika fait figure d’exception. « Habituellement, c’est du chacun pour soi », déplore Rajery. « Moi, j’essaie de sensibiliser tous les acteurs du secteur de la musique pour faire quelque chose ensemble. Créer des réseaux, faciliter la circulation des musiciens dans l’océan Indien, oublier notre égo. Penser Madagascar, penser la culture. »
En l’absence de réelle politique culturelle sur l’île, la méthode Rajery vient combler des besoins. Jean Piso, célèbre accordéoniste du grand Sud et doyen du festival, le confirme : « De se retrouver avec des artistes de toute l’île, c’est exceptionnel. Ce contact me donne du courage ! » Et d’ajouter par ailleurs : « L’expérience qu’a Rajery de la scène et des tournées internationales, est immense. Et qu’il la fasse partager à nous tous, artistes malgaches, c’est une grande chance. »
Une vitrine pour la diversité
Pour l’organisateur de ce festival, l’objectif est double. Se serrer les coudes, évidemment, entre artistes, mais aussi créer chez le public malgache, un sentiment d’appartenance. « Nous avons 22 ethnies sur l’île. Et la réalité, c’est qu’on ne se connaît pas beaucoup les uns les autres. En invitant une trentaine d’artistes de toute l’île, notre volonté, c’est d’offrir au public une sorte de vitrine de notre identité, l’opportunité de mieux connaître notre pays, à travers ses chants, ses traditions, ses dialectes. »
Montrer que la culture malgache est multiple. « Kolontsaina mampiray firenena » dit le slogan de cette 19e édition. La culture peut rassembler au-delà de la pluralité d’opinions…
Rajery ne cache pas la dimension politique de son combat. « Peut-on développer un pays qui ne connaît même pas sa propre histoire ? » s’interroge-t-il. Pour lui, la culture est un levier de développement. Sans elle, pas de sentiment d’appartenance, pas de nation. Pas d’avenir non plus. « Angaredona, c’est ma contribution pour le développement de la culture dans mon pays. C’est en quelque sorte une mission sacrée. »
Dernières notes
Les ultimes applaudissements de cette première journée de festival résonnent au pied d’Ambohimanga Rova. Sur scène, l’émotion est grande. Rajery vient féliciter les artistes, on se prend dans les bras. La musique a cessé… seuls le vrombissement des groupes électrogènes et le fredonnement des spectateurs encore ivres de mélodies couvrent le bruit des grillons.
Angaredona Mozika n’est pas qu’un festival. C’est une école, un miroir, un cri. Un espace-temps où Madagascar se contemple et se réinvente. Et au centre, un homme, Rajery, roi de la valiha. Missionnaire d’une cause. Semblant dire, dans chaque note : la culture peut nous sauver.

Portrait d’un roi
Derrière le festival, il y a un homme. Un destin. Celui de Rajery, né Germain Randrianarisoa, il y a 60 ans, dans un village à 45km au nord-ouest d’Antananarivo. Fils de paysans, il aurait dû lui aussi vivre du travail de la terre. Mais un « mosavy », un acte de sorcellerie, en a décidé autrement. À ses 11 mois, il ingère un morceau de viande qu’on lui tend. « Mes doigts se sont comme momifiés », explique le musicien.
Impossible pour lui de tenir une angady, la bêche malgache. Ses parents décident alors de l’envoyer à la capitale, pour qu’il intègre le collège. L’enfant est moqué pour sa différence. Amoureux de la valiha, il se met alors à travailler inlassablement. « Au départ, je n’arrivais pas à pincer les cordes, aucun son n’en sortait. Avec mon moignon, c’était trop compliqué. Puis à force de persévérance, j’y suis arrivé. Cet instrument a changé ma vie et m’a surtout permis d’accepter mon handicap. »
Depuis, il joue, il chante, il compose. Quarante ans de scène. Trente ans de carrière internationale. Sept albums, dont un, Fanamby, qui lui a permis de décrocher le prix RFI Musiques du monde. Il a partagé l’affiche avec des artistes du Maroc, du Mali, d’Europe. Lui qui a beaucoup voyagé a choisi de rester à Madagascar, son « tanindrazana », la terre de ses ancêtres. « J’avais trop envie de donner à mon pays et de contribuer à ma manière à son développement. »
En 1999, il crée la première unité de musicothérapie à l’hôpital psychiatrique d’Antananarivo. Jusqu’en 2014, il intervient bénévolement auprès des patients. « Le pouvoir de la musique est magique. La musique redonne du sens à la vie de ceux qui vivent dans l’irréel ».